Chapitre 3. La proposition du Cadir

1. La Figure en Discours

1.1 Quelques remarques sur le statut de la figure

Le groupe de recherche lyonnais (CADIR) développe la question de la figure à partir d’une confrontation entre la théorie sémiotique de Greimas et la pratique d’analyse du texte biblique.

Dans un recueil d’articles réalisé par Anne Hénault, présentant les diverses sémiotiques du monde actuel, un article de Louis Panier, « La sémiotique et les études bibliques », présente la démarche sémiotique et son développement théorique dans les textes bibliques, commencée dans les annés 60. Selon lui, dès le début de l’élaboration de l’analyse textuelle évangélique, une simple application du modèle greimassien a posé un problème à cause de la particularité du texte biblique. Il montre que c’est en faisant une analyse concrète, que les études bibliques du CADIR ont ouvert un chemin vers la théorie de l’énonciation. Cela vient de la nature même du texte évangélique, comme dit Greimas : les textes évangéliques se réfèrent, d’une manière ou d’une autre, à l’instance de la foi 296 . L.Panier remarque dans cet article deux points essentiels dans l’élaboration du texte évangélique qui s’écartent des modèles généraux de la grammaire narrative : la déconstruction de la sémantique narrative par la problématique de l’objet, et la déconstruction de la syntaxe narrative à cause de la problématique de la véridiction (qui invite la participation de l’énonciataire-lecteur). En effet, l’observation de macro-, et micro-récits a permis d’aborder la question de l’énonciation.

  • i) La problématique de l’objet :

Dans le modèle narratif, le sujet est défini par sa relation avec l’objet valeur qu’il désire. L.Panier parle de sémiotique objectale. La Bible résiste au modèle général manque / liquidation du manque. Puisque dans les analyses concrètes, on peut observer bien des cas où « l’attribution de l’objet préalablement visé n’est pas considérée comme la satisfaction du désir, mais comme l’attestation de l’établissement de la relation intersubjective » 297 . Le pivot du récit est déplacé. Ce n’est plus la phase de la performance qui occupe le centre de l’analyse, mais il s’agit de l’instauration du sujet compétent, (performance → compétence) tantôt indépendamment de son objet valeur, tantôt avec un objet qui a perdu son statut de valeur. Par là, l’étude du corpus biblique ouvre à une sémiotique du sujet. De cette modification du sujet résulte une transformation du statut des objets-valeur. Cette nouvelle relation sujet/objet se développe d’une part avec les objets énonciatifs (l’objet reçoit ses valeurs dans l’échange de la parole), selon la thèse de Soon-Ja Park 298 , d’autre part avec les signe-objets de François Martin 299 .

  • ii) La problématique de la véridiction :

Un autre problème vient de la corrélation constante entre les plans pragmatique et cognitif. « Les transformations pratiques posent le problème de la reconnaissance, de la véridiction et des conditions de l’interprétation » 300 . Cette fois, le pivot du récit se déplace vers la sanction (performance → sanction). Ce n’est plus la performance (acquisition d’un objet) qui est au centre mais la sanction (reconnaissance d’un sujet), puisque les évangiles posent constamment la question de reconnaissance de Jésus. Ce déplacement permet d’affiner les modèles de la véridiction. Le ‘croire’ biblique n’est pas la réponse à un ‘faire croire’ (faire-persuasif). Mais le statut de la véridiction et le problème de l’interprétation couvrent la totalité d’un ensemble narratif. Ici on rejoint la problématique de pluri-isotopies qui ouvre le chemin vers une sémiotique interprétative engagant le travail de l’énonciataire-lecteur (énonciation non-énoncée).

  • iii) Une troisième remarque sur le statut de la figure :

Dans le livre méthodologique Analyse sémiotique des textes, publié sous le nom du Groupe d’Entrevernes en 1979 301 , fidèle au modèle de Greimas, le CADIR développe davantage l’analyse figurative. Il adapte les notions de ‘figure’ et d’‘isotopie’ élaborées par Greimas en 1966, à l’analyse concrète des textes. Dans ce livre, ce groupe précise aussi les notions de ‘configuration’ et de ‘parcours figuratif’. Plus tard, le CADIR retrouvera dans la conception du « figural » 302 ce qu’il avait cherché tout au long de son cheminement figuratif dans les textes bibliques. Une fois que les grandeurs figuratives entrent dans le discours, « ces grandeurs ne peuvent être directement décodées ou référentialisées, mais elles ont à être interprétées dans la perspective de l’acte énonciatif qui les met en parcours » 303 . En effet, la dimension figurale a permis d’introduire dans la sémiotique l’acte énonciatif du sujet énonciataire que le CADIR a cherché dès le début de son travail.

Notes
296.

Signes et Paraboles, p.227.

297.

L. Panier, 2002, p.367

298.

Soon-Ja Park, La transformation énonciative de l’objet de valeur et l’objet énonciatif, Approche sémiotique de quelques récits évangéliques, thèse de Doctorat, Université Lumière Lyon 2, Lyon, 1997.

299.

François Martin, Pour une théologie de la lettre, L’inspiration des Ecritures, Editions du Cerf, Paris, 1996, p.182-183

300.

L. Panier, 2002, p.369

301.

Groupe d’Entrevernes, Analyse sémiotiques des textes, Presses universitaires de Lyon, Lyon, 1979

302.

Inspirée aux traveaux de J. Geninasca,1985, pp.203-214.

303.

L. Panier, « Le statut discursif des figures et l’énonciation », in Sémiotique & Bible n°70, 1993, p.16