2.2 Parole, Figure, Parabole

A l’époque de la parution de l’article de J.Calloud, le CADIR organise un colloque international sur le thème : ‘Parole, Figure et Parabole’ à L’Arbresle (13-15 juin 1986). Et sous la direction de Jean Delorme, un recueil partiel de ce colloque est paru en 1987 sous le titre de Parole-Figure-Parabole, Recherches autour du discours parabolique. C’est en fin de ce recueil que l’on trouve un entretien du CADIR avec Greimas. Le CADIR lui pose sept questions qui ont marqué l’élaboration de la théorie greimassienne dans les textes bibliques. Et dans la réponse de Greimas, nous trouvons les éléments importants qui sont propres au CADIR. Les trois questions (i, v, vi) portent sur la véridiction qui mène à la problématique de l’énonciation et à l’acte pragmatique de la parole. Les deux questions (iii, iv) concernent la recatégorisation des rôles thématiques. Au centre de ces questions, se forme peu à peu une transition de la sémiotique objectale vers une sémiotique subjectale. Nous rapportons brièvement ci-dessous cet entretien :

i) Sémiotique et paraboles évangéliques  : Greimas remarque à ce propos que « les textes évangéliques ont ménagé une surprise. » Ils introduisent dans la réflexion sémiotique la dimension cognitive du discours, et plus particulièrement, l’interrogation sur le statut de la véridiction. La parabole soulève les problématiques du secret et de l’efficacité de la bonne communication, un terrain de rencontre de la persuasion et de l’interprétation 324 . ii) Sémiotique et rhétorique   : par rapport à la définition dans l’exégèse, la parabole est comme une comparaison développée et l’allégorie comme une métaphore développée, Greimas rappelle que la parabole a été considérée par le sémioticien comme une unité discursive de caractère narratif et figuratif et non comme une ‘métaphore filée’ 325 . iii) Progrès discursif   : Sur la différence entre la pensée causale et la pensée parallèle 326 (qui est la question centrale à l’élaboration de la théorie discursive), Greimas reste dans deux catégories distinctes : 1) La pensée causale du côté peirsien, 2) la pensée causale du côté figuratif.

Peu satisfait de cette réponse, le CADIR pose une deuxième question sur le rôle thématique dans sa relation avec le parcours génératif, mais il la pose par le biais de l’isotopie. Cette question permet d’affiner encore ‘la pensée causale du côté figuratif’.

iv) Problèmes d’isotopie  : Le CADIR se demande si le récit parabolique au niveau figuratif n’est pas plutôt un discours à ‘n +1’ isotopies. A cette question, Greimas affirme que la parabole ne correspond pas à la conception ‘bi-isotope’ du discours selon laquelle un niveau figuratif recouvrirait un autre niveau plus profond, plus abstrait. Dans le texte évangélique, plusieurs récits figuratifs se chevauchent, se complètent et se dépassent. D’où un autre jeu de la créativité allusive et de l’opacité qui voile et se laisse dévoiler. Alors, dès qu’on entre dans la littérature dite moderne, ces parallélismes et chevauchements deviennent presque la règle du jeu 327 . v) Signification et communication  : A propos du lien que la pensée parabolique entretient avec la nature fiduciaire 328 et la particularité de sa réception, Greimas approuve une possibilité de la théorie de la réception à partir des études des paraboles évangéliques. L’observation permet de déplacer le pivot de la communication. Elle donne toute son importance au faire-interprétatif et au contrat fiduciaire du sujet récepteur 329 . vi) Parole et parabole  : A propos de la considération de la parabole comme ‘événement de parole’, Greimas rappelle la source commune des recherches sur les actes de langage qui se retrouve dans la philosophie du langage d’Austin, introduite et réinterprétée par Benveniste en France. Il laisse la porte ouverte sur cette question dans l’étude sémiotique  330 . vii) Pensée parabolique et pensée mythique  : Greimas note leur ressemblance et leur différence. Elles se ressemblent car elles utilisent les figures du monde pour parler de l’homme, de sa condition, de ses origines et de sa fin. Elles se différencient car ‘la pensée parabolique procède par approximations et allusions’ et pose ‘des interrogations, d’où son caractère historiquement paradoxal’. Quant à la pensée mythique, elle « se trouve interprétée et traduite en thématique (...) ouvrant la voie au savoir qui une fois instauré, convoque le raisonnement parabolique pour l’aider à tracer de nouveaux sentiers » 331 .

Ces sept remarques sont pour le CADIR un point de repère pour une théorie discursive, affirmant son enracinement dans la théorie greimassienne, et en même temps spécifiant la théorie énonciative.

Notes
324.

J. Delorme, 1987, p.385

325.

J. Delorme, 1987, p. 386

326.

Greimas lui-même évoque cette problématique dans son article « Le savoir et le croire : un seul univers cognitif » (Du Sens II, p.115-133)

327.

J. Delorme, 1987, p. 388. Avec ces éclairages, désormais l’analyse discursive peut tracer son itinéraire autonome dans la perspective de la finalité, sans se soucier du parcours génératif. Et en même temps, Greimas ouvre l’avenir de cette théorie discursive qui n’est pas propre aux textes évangéliques mais qui peut aussi être appliquée aux textes littéraires dits modernes.

328.

A.J. Greimas, Sens II, p.132

329.

J. Delorme, 1987, p. 389-390 : « Dès lors, le point de vue se déplace : les stratégies de la persuasion sont le fait de l’énonciation, la mise en place, à l’intérieur de l’énoncé, des simulacres de la communication dialoguée permet, par exemple, d’installer la relation hiérarchique entre les interlocuteurs où le maître, disposant de l’autorité de la parole, impose au destinataire l’obligation de chercher à comprendre ; où la figure du disciple, comme l’a montré Jacques Escande, incarnant, à travers différents auditeurs, des attitudes véridictoires graduées, passant de l’incompréhension du doute, à l’acceptation, sert de relais et se prête à son identification avec le lecteur hors texte. (...) Les paraboles dialoguées sont des figures discursives inscrites dans l’ensemble de l’énoncé-texte et ayant pour fonction indépendamment de leur contenu, de laisser entendre, en mettant face à face des interlocuteurs, qu’il y a quelque chose à comprendre, qui sont de ce fait une invitation à chercher le sens. Dans l’économie générale des Evangiles, elles paraissent ainsi comme des figurants porteurs de fiducie. »

330.

J. Delorme, 1987, p.391 : « La sémiotique a tout intérêt à les (les diverses suggestions de la théorie d’énonciation) digérer, à les assimiler, en les intégrant dans sa réflexion théorique, surtout que les cadres d’accueil, tels que la compétence modale et sémantique des interlocuteurs, le couple persuasion/interprétation ou l’explication du dialogue comme structure narrative, polémico-contractuelle existent déjà. »

331.

J. Delorme, 1987, p.392