3.2 Un autre manque est l’origine du désir

Il nous faut nous attarder un peu sur le problème du ‘désir’. Deux remarques à propos de la figure du « désir » illustrent la relation entre l’étude du texte (énoncé) et l’énonciation :

‘« Le déplacement est une figure classique du désir qui poursuit un bien manquant. Mais il arrive que le voyage n’aboutisse pas, soit interrompu, ou conduise ailleurs. Une perte rend vaine la quête entreprise et fait apparaître un autre manque qui, celui-là, ne peut être comblé. C’est un itinéraire de mort et de naissance d’un sujet qui reste marqué par ce qu’il a perdu dans la rencontre de ‘l’autre’. Les questions d’identité et d’altérité relativisent le rapport à l’objet de désir, comme dans la recherche du Royaume de Dieu qui se joue dans les relations concrètes des hommes entre eux et avec la parole enclose dans les paraboles. » 339

« Que me veut ce texte ? » dit Delorme. Cette conversion de la sémiotique objectale à la sémiotique subjectale est bien illustrée par lui dans son analyse de la parabole du ‘Bon samaritain’ :

‘« Il (le légiste) interrogeait en vue d’‘hériter de la vie éternelle’ et la Loi lui ouvre le chemin qui est à la fois celui de l’amour et de la vie. La parabole lui parle maintenant de la vie d’un autre en train de mourir. Faire vivre est plus urgent que de chercher à savoir comment mériter de vivre. Le légiste demandait : « Qui est mon prochain ? » La parabole ne répond pas. Bien plus, elle efface la question. Dans l’histoire du blessé et de ceux qui le rencontrent, cette question n’a pas de sens. La poser, c’est chercher quelle image l’autre doit me présenter pour que je le reconnaisse proche de moi. C’est à partir de ce que je suis ou crois être que je l’identifierai. Dans la parabole, la question vient de l’autre, et la différence passe entre ceux qu’elle ne touche pas et celui qui se laisse atteindre par elle : que me veut cet homme à demi mort ? Ce n’est plus moi qui interroge. Je suis interrogé. » 340

Cette analyse illustre l’articulation des deux temps de l’imaginaire et du symbolique, de l’univers de valeurs et du signifiant 341 . En passant par la parabole (dans le domaine linguistique, symbolique) le pivot change. Le corps est touché par le langage symbolique (parabole) là où on peut trouver la place du réel : « Lequel est devenu le prochain ? » cette deuxième question demande une réponse au légiste, le « fais de même » l’invite à l’action. La place du réel n’est pas dans le monde de l’idée (imaginaire) ou du langage (symbolique), mais dans la pratique où le savoir et l’acte s’identifient. Mais pour arriver au réel, il faut passer par la symbolisation que Lacan appelle « le Nom du Père » : l’interdit de la jouissance (c’est la fonction de la Loi).

Notes
339.

J. Delorme, 1992, p.321.

340.

J. Delorme, 1991, p.123.

341.

F. Martin dit à ce propos : p.145 « Retournement de perspective qui, déplaçant l’accent précédemment mis sur la notion ambivalente de valeur, va le porter sur celle de signifiant et qui, par le même mouvement, va disposer le sujet à la place centrale qu’on avait accordée à l’objet. »