3.3 Un chantier ouvert
Ainsi, nous avons vu que la théorie figurative est étroitement liée à la théorie énonciative. Au sommet du développement de la théorie du CADIR, il y a enfin deux autres thèses qui sont à la fois l’illustration et le fruit de leur recherche. Toutes les deux, en partant l’une du côté figuratif, l’autre de la grammaire narrative, rebondissent pour construire une théorie de l’énonciation.
-
i) La théorie de l’énonciation en deux temps :
François Martin reprend les problématiques du CADIR selon ses propres termes. Il distingue d’abord la sémiotique des valeurs et la sémiotique du signifiant
342
, qu’il rebaptise ensuite : temps de la métamorphose et temps de l’anamorphose.
343
C’est la dimension figurale des figures qui s’articule en ces deux temps. En effet cette articulation est une terminologie nouvelle des figures de la ‘limite’ et du ‘tiers’ qui articulent la structure binaire et la structure ternaire.
Dans sa thèse, Martin développe la sémiotique du signifiant. Il commence par trois dimensions : le monde, la langue, le sujet humain. En développant l’analyse sémiotique dans le discours, il fait un lien entre ces trois dimensions psychanalytiques lacaniennes : l’imaginaire, le symbolique et le réel. Il illustre dans sa thèse avec l’analyse de la ‘Transfiguration’ : articulant deux espaces (métamorphose / anamorphose), et donne une place au sujet parlant. Pour lui, l’analyse figurative, la relation entre figuratif/thématique est autre que l’axiologie propre à Greimas. En adoptant la conception figurale de J.Geninasca, il y a un écart entre figuratif et thématique. Cet écart, ce clivage, est produit par l’effet de la parole d’un autre, donc il est de l’ordre du langage. Cet effet est celui de la parole touchant un sujet humain qui l’entend. -
ii) La transformation de l’objet valeur en objet énonciatif :
Quant à Soon-Ja Park
344
, elle aborde la problématique de la théorie de l’énonciation en partant de l’analyse narrative. Elle repère avec soin les deux actants narratifs : sujet, objet, pour rebondir sur d’autres niveaux. Expliquons : Greimas repère l’objet valeur au niveau narratif, puis se place sur le plan figuratif pour chercher une figure qui garantit la valeur de l’objet, qu’il thématise. Quant à Park Soon-Ja, si elle repère l’objet valeur dans un texte, c’est pour le situer ensuite dans un parcours figuratif. Cette différence apporte un grand avantage dans ses analyses, puisqu’en mettant cet objet-figure dans un parcours figuratif au lieu de thématiser l’objet narratif, elle met en relief sa singularité, de sorte que le parcours génératif ne se tient plus dans ses analyses. En effet, cet objet-figure en entrant dans le parcours figuratif, subit une série de soustraction des valeurs thématiques. Elle redéfinit ainsi le sujet d’énonciation à partir d’un objet-figure qui a perdu toutes les valeurs thématiques. Son originalité est d’avoir su mettre l’objet narratif ‘dans un échange verbal’ comme remarque L.Panier :
‘« Les récits bibliques opèrent une transformation du statut des objets installés dans le parcours narratif comme objets manquants, désirés transférés. Ces objets trouvent leur valeur dans le fait qu’ils sont pris dans un échange verbal, qu’ils deviennent des objets parlés entre les sujets. »
345
’
Elle observe ce phénomène particulièrement dans le dialogue. C’est pendant le dialogue que le sujet perdant sa valeur initiale, est appelé à devenir sujet croyant en étant traversé par un objet-parlé qu’elle nomme ‘l’objet-énonciatif’. Ainsi dans ses analyses, l’échange de la parole entre les acteurs devient le lieu privilégié pour observer ce phénomène de la soustraction des valeurs thématiques ... Le schéma qu’elle présente à la fin de sa thèse illustre sa théorie de l’objet énonciatif :
Cependant ses analyses restent encore dans l’énonciation énoncée. A la fin de sa thèse, elle invite les futurs chercheurs à élaborer la théorie du sujet-lecteur qui serait traversé par l’objet énonciatif donc l’observation dans l’énonciation non-énoncée.
Notes
342.
F. Martin, 1996, p.140-145
343.
F. Martin, 1996, p.155-159
344.
Soon-Ja Park, 1997, Lyon.