A. Les quatre dimensions de la figure

L.Panier présente un exemple de la figure en quatre dimensions observée dans son analyse de la « parabole des mines » 348 . Cette analyse montre bien en quoi consiste le progrès discursif que nous avons déjà signalé avec l’entretien entre le CADIR et Greimas rapporté dans le livre『 Parole, Figure, Parable 』(voir II.3.2.2).

La figure de la mine a une structure topologique, selon la structure actorielle de Greimas. Elle a donc un rôle actantiel et un rôle thématique. L.Panier remarque dans son analyse que cette mine initiale a ‘le statut d’objet’ (rôle actantiel) selon sa dimension référentielle : « la mine désigne une certaine somme d’argent ». Cette dimension référentielle fonctionne ensuite comme la valeur de la mine multipliée, donc elle reçoit cette fois un rôle thématique (L.Panier désigne cette mine multipliée, pour l’‘opération métonymique’). Cependant dans cette parabole, le parcours figuratif de la mine continue. Avec le retour du maître, cette mine multipliée se convertit en villes par les paroles du maître, ce que L.Panier appelle ‘le dispositif métaphorique’ :

‘« la mine est reprise selon un dispositif métaphorique : signe (Sa/Sé) par une correspondance entre l’isotopie financière (somme d’argent produite) et l’isotopie politique (pouvoir sur les villes). Cette opération est le fait d’un tiers actant qui interprète, en interrompant le parcours métonymique des mines et en le référant à la fidélité des serviteurs. La mise en discours établit ainsi une conformité d’isotopie entre le pouvoir sur les villes et la fonction royale et interprète de cette manière la relation inter-subjective entre le roi et les serviteurs. Roi et serviteurs se rejoignent sur cette isotopie thématique dont ils sont les représentants figuratifs. » 349

Ce dispositif métaphorique est une re-catégorisation du rôle thématique, ce que Greimas différencie du tertium comparationis 350 . Avec cette mine convertie en ville, ‘le texte a travaillé’ comme dit Greimas 351 . Jusqu’ici, nous avons observé la figure de la mine sur le plan de l’énoncé. Elle assure le rôle actantiel (objet), les rôles thématiques que la valeur du monde naturel (valeur d’argent) et la valeur propre au texte (équivaut à une ville) investissent en elle. Il nous semble que dans la quatrième dimension de la figure que nous allons observer ci-dessous, nous entrons sur le plan de l’énonciation. L.Panier insiste sur cette dernière mine enlevée au troisième serviteur et donnée au premier serviteur qui en a déjà dix :

‘« Elle (la dernière mine) assure la fonction de marque pour l’identification des sujets. Loin d’être un signe thématisable (comme les mines associées à des villes), elle a le statut d’ « in-signe », du non-signe désignant la singularité d’un sujet dans le parcours figuratif qui le représente. » 352

Comme jadis, Greimas a reconnu à la parabole ‘son caractère historiquement paradoxal’ 353 , dans ce texte, la mine, enlevée et ensuite donnée, scandalise d’abord les spectateurs de cette scène : ‘Seigneur, lui dirent-ils, il a dix mines !’ (Luc 19,25). Cette mine n’appartenant pas au système des valeurs (valeur référentielle de l’argent, valeur propre au texte, ville), mais assurant ‘une fonction de marque pour l’identification des sujets’, étonne les spectateurs de la scène. Devant cet étonnement, le maître-roi leur laisse une parole à entendre : ‘Je vous le dis : à tout homme qui a l’on donnera ; mais à celui qui n’a pas on enlèvera même ce qu’il a.’ (Luc 19,26) Par cette parole, l’enjeu de la parabole dépasse le plan de l’énoncé, et le projette dans la direction de l’énonciataire-lecteur qui se trouve être identifié aux spectateurs de la scène. Par cette fonction figurale, c’est-à-dire par cette dernière mine qui dépassant le système des valeurs, fonctionne comme marque pour l’identification des sujets, la figure (le non-signe) interpelle le contrat fiduciaire de l’énonciataire-lecteur.

Notes
348.

C’est une des paraboles dans l’évangile de saint Luc 19, 12-27. Elle raconte une histoire où un maître de maison partant pour obtenir la royauté, confie les mines à ses serviteurs, et leur dit de faire fructifier ces mines pendant son absence, et il s’en va. A son retour, il convoque ses serviteurs pour savoir où ils en sont. Le premier et le second racontent leur exploits et le maitre leur confie cette fois des villes chacun selon sa capacité. Le dernier serviteur vient lui rendre la mine qu’il a gardée dans un linge en lui disant qu’il avait peur de son maître. Le maître, tout en colère, demande qu’on enlève cette mine et qu’on la donne au premier serviteur qui avait multiplié la mine par 10. Cette parole du maître scandalise tous ceux qui étaient là.

349.

L. Panier, 2002, p.377.

350.

J. Delorme, 1987, p.387 et aussi voir A.J. Greimas, 1977, p.235-6.

351.

A.J. Greimas, 1977, p.236.

352.

L. Panier, 2002, p.377-8.

353.

J. Delorme, 1987, p.392.