Dans cette perspective, les définitions de la « figure » de J.Calloud s’éclairent :
‘« 1. La figure est un voile. Elle cache, et l’ombre du voile est sans retour. Mais, ce faisant, elle signale, elle annonce. 2. La figure annonce d’abord d’autres figures, une série ou une chaîne figurative. 3. La figure est comme un objet, disposé là pour un éventuel sujet, dans l’axe énonciatif, non dans le champ narratif. 4. La figure rompt avec le sens conceptuel ou avec le visible, le figuratif devient figural, la figure en appelle au sujet. » 363 ’La première définition articule les deux faces de la figure : signifiant/signifié, dans le langage lacanien 364 . Selon Greimas, ce signifiant est désigné par plusieurs expressions : l’« écran du paraître », « le voile de fumée » 365 . La deuxième définition porte sur la spécificité de la figure mise en discours : « le parcours figuratif ». Une figure ne peut avoir de signification qu’en annonçant (et s’accrochant avec) d’autres figures dans une chaîne figurative. La troisième, à partir de laquelle, Park Soon-Ja fonde sa théorie d’objet énonciatif. La quatrième rappelle le « figural » de J.Geninasca, mais en faisant la remarque d’une double rupture avec le sens conceptuel ou avec le visible, il semble signaler la rupture entre deux faces figuratives : la thématique et l’iconicité 366 . De fait, dans cette quatrième définition, il inclut non seulement la sémiotique discursive mais aussi la sémiotique visuelle que nous venons de signaler dans la définition de Greimas. Cette double rupture procure la rupture entre signifiant/signifié (au sens lacanien) dans la sémiotique discursive d’une part, et visible/visuel dans la sémiotique visuelle d’autre part 367 . C’est dans cette perspective que F. Martin, dans sa thèse, développe la théorie de l’énonciation en utilisant trois dimensions figuratives (thématique, figuratif, figural), il distingue entre la sémiotique des valeurs et la sémiotique du signifiant.
L’analyse de Martin, « Transfiguration », essaie d’articuler les effets de l’énonciation en deux moments : la métamorphose, l’anamorphose. Il emprunte le terme « anamorphose » à l’art de la peinture en faisant allusion au tableau de Holbein, Les Ambassadeurs 368 , parce qu’il est un bon exemple pour montrer la relation entre le statut figural de figure et l’instance d’énonciation. Tant que le spectateur reste en face du tableau, cette tache blanchâtre est informe et insignifiante. Quand le spectateur déplace son point de vue, cette tache laisse apparaître une tête de mort et, à ce moment là, ce tableau a une signification nouvelle et entièrement cohérente. Le point où se tient le spectateur peut être considéré comme la place de l’instance d’énonciation. C’est à partir du point figural qu’elle est possible de le trouver.
Jean Calloud : « Le texte à lire », dans L. Panier (dir.), Le temps de la lecture, Exégèse biblique et sémiotique, Paris, Cerf, 1993, p.31-64.
J. Calloud, 1993, p.60, note 42 « La sémiotique greimassienne a ouvert la voie à un réaménagement de la définition du signe selon F. de Saussure comparable à celui qu’à proposé J. Lacan, en faisant observation que le rapport manifestion-immanence devait se substituer au couple plus habituellement admis de la ‘forme’ et du ‘fond’. (...) La notion greimassienne de ‘sémiotique du monde naturel’, considérée comme condition de la figurativité, illustre parfaitement ce déplacement. »
A.J. Greimas, De l’imperfection, p.9 : « Tout paraître est imparfait : il cache l’ être , c’est à partir de lui que se construisent un vouloir-être et un devoir-être, ce qui est déjà une déviation du sens. Seul le paraître en tant que peut être – ou peut-être – est à peine vivable. » ; p.1 « Ceci dit, il constitue tout de même notre condition d’homme. Est-il pour autant maniable, perfectible ? Et, pour solde de tout compte, que ce voile de fumée se déchire un peu et s’entr’ouvrir sur la vie ou la mort, qu’importe ? »
Concernant sur l’iconicité voir D. Bertrand, 2000, chapitre 6.
Nous pouvons approfondir cette question dans un acticle de L. Panier, dans Sémiotique et Bible n°70, p.13-24.
F. Martin, 1996, surtout voir p.162-7 : p. 163-4 « L’exemple le plus célèbre de ce genre de peinture est celui du fameux tableau de Holbein, Les Amassadeurs (National Gallery, 1533). Debout, accoudés à une étagère sur laquelle sont étalés divers objets recherchés, tous évocateurs des récentes conquêtes de la science et des arts ou de la découverte de mondes nouveaux, deux diplomates font face à l’observateur du tableau. A leurs pieds, suspendue au-dessus du carrelage et occupant le premier plan du tableau, s’étale obliquement une tache blanchâtre, indéchiffrable, que certains comparent à un os de seiche et d’autres à un pain de deux livres. Mais quand le spectateur, s’étant écarté de quelques pas, se retourne pour jeter un dernier coup d’oeil au tableau, la forme disloquée vue maintenant de biais lui jette à la figure l’apparition d’une tête de mort. ... Sur la même surface deux espaces sont donc articulés, celui de l’énoncé, des choses dites, montrées et repérables, et celui où l’énoncé « fait défaut », où n’apparaît d’abord qu’une tache puis, après déplacement du spectateur, où surgit une « vanité ». Cette articulation des deux plans sur une seule surface indique ainsi le point de fuite de l’énonciation d’où le sujet prend corps, à partir duquel les Ambassadeurs sont envoyés, « représentants » de ce qui n’est pas représenté. »