En guise de conclusion

Nous venons d’observer la figure dans les diverses disciplines en commençant par la rhétorique. Dans la rhétorique ancienne (II.1), il y a trois possibilités de concevoir la figure : topos, tropes, imago.

Topos : lieux où on peut puiser les sujets de discours. Barthes y voit un ancêtre de la critique thématique qui procède par catégories et de celle de Bachelard (« en somme : l’ascensionnel, le caverneux, le torrentueux, le miroitant, le dormant, etc., sont des ‘lieux’ auxquels on soumet les ‘images’ des poètes. »

Tropes : toutes sortes de substitution. Les figures en rhétorique sont comparables à une liste d’‘ornements’. Les rhétoriciens classiques rangent la figure dans la catégorie des tropes. L’‘allégorie’ est rangée dans une de ces figures de rhétorique.

Imago : l’interprétation typologique a opté pour cet aspect : l’‘imago’ vient de l’‘exemplum’. A l’origine, l’exemplum était l’induction rhétorique et a pris en cours de l’histoire une nouvelle forme : le personnage exemplaire (eikôn, imago).

Ces observations nous ont libérée de nos premières impressions d’enfermer les ‘figures’ en rhétorique aux seuls codes rhétoriques qui sont en effet l’origine ‘tropes’, un des aspects des figures en rhétorique ancienne.

Une figure ne se limiterait donc pas à un mot pour désigner un autre mot dans un texte ; elle est plutôt reconnaissable dans un ensemble mis en discours. Cette caractéristique de la figure : mise en discours, introduit la dimension énonciative dans la figure. En effet, les études linguistiques ont ouvert une autre facette pour concevoir la figure. Greimas définit ‘la figure’ d’après Hjelmslev (1966). Une figure (au niveau lexique) devient pour Greimas équivalent à une ‘figure nucléaire’ (noyau sémique caractérisé par les relations hiérarchiques entre les sèmes) qui est un des éléments pour construire le ‘sémème’ en combinant avec le classème. Par la notion du classème, il introduit le concept d’isotopie. Ainsi tous les éléments dans un texte deviennent susceptibles d’être une figure. Cependant dans des oeuvres ultérieures, Greimas revient peu sur la figure, sinon pour définir une figure d’acteur (1983), au niveau du discours, en y investissant deux rôles : rôle actantiel, rôle thématique. Ainsi une figure d’acteur devient une structure qu’on peut construire avec les éléments narratif et discursif.

J.Geninasca nous donne une poussée importante pour la notion de figure du côté énonciatif. Pour le développement de sa théorie, il revient à deux études de Greimas (1966, 1983), corrige d’abord la notion de figure au niveau lexicale (même au niveau d’un lexème, le classème qui permet l’isotopie n’est pas exclu de la construction d’une figure dans une phrase) et ajoute encore la dimension de la configuration, parce qu’une figure ne peut pas se concevoir en la détachant de son contexte. Ainsi une figure peut être reconnue (construire) avec trois éléments : figure nucléaire + classème + configuration (des rapports métaphoriques). Il corrige ensuite le postulat de Greimas sur une figure d’acteur. Aux 2 rôles attribués par Greimas, J.Geninasca ajoute la dimension figurale (sujet d’énonciation). Nous adoptons cette définition en considérant qu’il y a ‘figure’ lorsque les trois dimensions de la structure topologique de l’acteur (rôle actantiel, rôle thématique, dimension figurale) sont réunies. Ainsi, la figure peut se reconnaître dans une structure topologique à partir de laquelle advient le sujet. Ainsi l’accomplissement de la figure se réalise dans le sujet-interprète.

Les études du CADIR ont encore permis d’affiner cette dimension énonciative en introduisant l’analyse figurative dans un corpus particulier : texte biblique. Nous savons que la théorie de Greimas s’enracine dans le modèle proppien élaboré à partir des contes. Du fait de changer le corpus : du conte au texte biblique, cela a été profitable et a donné une ouverture plus grande pour l’analyse figurative et énonciative. En effet, la théorie sémiotique a été un coup de force pour eux, pour avancer encore plus loin par rapport à l’interprétation typologique que les biblistes ont appliquée depuis longtemps. Concevoir la figure comme une structure leur a donné une possibilité d’affiner l’analyse du texte.

Pour nous, c’était une heureuse rencontre d’avoir découvert « la structure de la rencontre » dans une des études de Jean Caloud faites à partir de Actes des Apôtres 9,1-9. Cette étude nous a motivée d’une part pour parcourir les oeuvres principales du CADIR depuis son début. D’autre part, elle nous a permis de construire ‘un modèle figuratif de la rencontre’ à partir des exemples concrets puisés dans SSS, car elle nous a donné l’idée de concevoir de la rencontre comme une structure.

Nous n’avons pas été déçus en révisitant les études du CADIR. Au contraire, nous y avons découvert beaucoup d’éléments importants pour la suite du présent travail. En effet, les études sur les figures ne manquaient pas dans leurs oeuvres (de plus, leurs théories sont fondées à partir de l’analyse concrète). Posant dès la première oeuvre principale (1977) les problématiques rencontrées dans l’analyse concrète par rapport au modèle narratif (le parcours génératif) de Greimas, le CADIR n’a pas cessé de développer l’aspect figuratif et énonciatif dans l’analyse du texte (le parcours figuratif) avec une présence constante de Greimas. L’article de Louis Panier (2002) illustre et présente à la fois l’élaboration du CADIR tout au long de son existence et la synthèse de leur théorie figurative et énonciative.

Encouragée par ces études, nous avons conçu un modèle figuratif de la rencontre en considérant une rencontre comme susceptible d’investir les divers éléments constructifs d’une structure. Cependant il nous reste une question : puisque la figure est conçue comme une structure susceptible d’investir les divers éléments structuraux, comment peut-on considérer une rencontre ? Est-ce une figure ? Nous reviendrons sur cette question après avoir construit le modèle figuratif de la rencontre.