2.2 La sémantique narrative et sa problématique

La sémantique narrative concerne l’actualisation par le sujet des valeurs représentées par l’objet-valeur. Dans une rencontre fortuite, l’aspect imprévu prive le personnage de ses modalités (état de la modalité zéro), et elle le laisse à l’état brut face à quelqu’un ou à quelque chose. Lorsqu’il s’agit de la rencontre de deux sujets, à cause de l’aspect imprévu, il n’y a pas d’objet qui lie les deux sujets. Cette structure (sujet ⇔ sujet) donne à la rencontre un statut spécifique. Greimas classe les activités humaines selon deux axes : l’axe de la production, l’axe de la communication.Dans ce dernier axe, Greimas classe toutes les relations entre les hommes. Et selon Jakobson, le schéma de la communication qui implique l’objet-message entre deux sujets, est valable pour les quatre types de la communication 379 de Greimas. Quant à la rencontre imprévue de deux sujets, deux formes de la fonction phatique peuvent apparaître au moment du contact : forme linguistique, et forme non-linguistique. Cette dernière est un produit du premier contact, et se reconnaît du côté du destinataire, elle fonctionne chez lui comme un appel. Si les acteurs de la rencontre ne répondent pas à cet appel (qui les touche profondément), la rencontre reste un simple contact imprévu. Mais s’ils y répondent, elle s’inscrit dans une communication et dans une durée. La nature de cet appel est à observer de plus près.

En effet, le contact imprévu produit deux genres d’appels (signifiant ?) de forme non-linguistique : l’appel énigmatique (signifiant-énigme) et l’appel mystérieux (signifiant-mystère). Cette classification est basée sur la marque produite sur le sujet récepteur. L’appel énigmatique suscite la quête du sujet qui cherche à saisir (signifié) cet appel insaisissable (signifiant) : par exemple, sur le plan discursif, la ‘curiosité’ de l’abbé Sabiroux ou de Saint-Marin est une trace visible (signe lisible) de cet appel énigmatique par lequel ils ont été touchés, qui les pousse à la recherche d’un savoir sur ce qui échappe à leur intelligence. Tandis que l’appel mystérieux engendre dans le sujet une passion qui le pousse à l’action : par exemple, sur le plan discursif, la pitié du carrier (ou encore la pitié de l’abbé Donissan, et la peur de Saint-Marin) est le signe lisible révélant qu’il a été touché par un appel mystérieux qui le pousse à devenir sujet d’une action. L’appel énigmatique trouve donc le signifié dans le savoir-vrai, et l’appel mystérieux trouve sa signification dans le sujet croyant (qui devient sujet d’une action). Ces deux genres d’appels ne sont donc saisissables que par leur effet (signe lisible) dans le sujet rencontré, et ils font naître l’un, un objet narratif, l’autre, un sujet d’action.

Selon ces observations, dans une rencontre, l’objet-valeur n’a pas un rôle primordial comme dans une performance classique de grammaire narrative. Il est un des produits d’un premier contact grâce à une fonction phatique particulière. Cette fonction imprime sa marque dans le corps du sujet rencontré, ce qui permet d’inscrire la rencontre dans une durée, voire d’établir un dialogue entre deux sujets.

L’exemple de la rencontre de Donissan avec le carrier nous montre que la rencontre se termine par un contrat fiduciaire. Dans le cas de l’appel énigmatique, la quête du sujet est résolue par l’acquisition du savoir-vrai. Donc sa quête n’aboutit pas nécessairement à un nouveau contrat. (par exemple, une curiosité disparaît lors de l’acquisition du savoir) Tandis que dans le cas d’un appel mystérieux, le sujet est amené (directement) au contrat fiduciaire pour entrer dans un nouveau programme. C’est un peu la distinction de Greimas qui différencie la communication reçue de la communication assumée 380 .

Cela nous montre que la rencontre soulève la problématique de l’objet narratif et de son sujet, et nous oriente pleinement vers l’observation de l’objet narratif et de sa transformation dans une rencontre.

Notes
379.

A.J.Greimas, 1979, p.45-48. Il donne en gros quatre types de la communication. L’échange (de l’objet valeur dans l’ordre économique, ou de l’objet message dans l’ordre communicatif), la communication participative –du point de vue du donateur- (le don de déstinateur transcendant, ou une communication de savoir), la communication assumée –du point de vue récepteur- (dans cette communication est impliqué le sujet croyant), le faire communicatif (par exemple, une communication théatrale invite l’observateur ou le spectateur).

380.

Greimas, 1979, p.47 : « Tout se passe comme si le sujet récepteur ne pouvait entrer en pleine possession du sens que s’il disposait au préalable d’un vouloir et d’un pouvoir-accepter, autrement-dit, que s’il peut être défini par un certain type de compétence réceptive qui, elle, constituerait, à son tour, la visée première et dernière du discours de l’énonciateur. Si assumer la parole d’autrui, c’est y croire d’une certaine manière, alors la faire assumer, c’est dire pour être cru. »