3.1 Sémantique discursive : la rencontre : lieu où s’opère la transformation de l’objet narratif et de son sujet

Nous rappellerons la théorie de la transformation de l’objet-valeur en objet signifiant (ou objet énonciatif) élaborée par les chercheurs de CADIR (notamment Martin, et S.-J.Park). Ces études sont étroitement liées à la transformation du sujet thématique en sujet signifiant.

François Martin présente deux genres d’objet : l’objet valeur et l’objet signifiant. Selon lui, ces objets ont tous deux une relation avec un même sujet. L’objet valeur est un objet narratif greimassien qui motive la quête du sujet. La jonction ou la disjonction avec cet objet définit le sujet de la quête. Tandis que l’objet signifiant est un objet figuratif qui n’a pas de relation de jonction avec le sujet, mais qui présuppose un objet valeur au début de son parcours, pendant lequel l’objet valeur initialement conçu subit une transformation ; tantôt il perd ses valeurs, tantôt l’objet lui-même disparaît 381 . Cela peut facilement s’observer dans une rencontre.

Selon les catégories 382 de rencontres, la transformation de l’objet (narratif) peut se réaliser dans des moments différents. Dans ‘la rencontre prévue’, elle se réalise pendant le dialogue, et dans la rencontre imprévue, elle se réalise au moment du contact.

Processus de la rencontre prévue : Un personnage va à la rencontre d’un autre dans une intention particulière : avertissant ou n’avertissant pas la personne à laquelle il rend visite, il est le sujet de la quête d’un objet-valeur. Au cours de cette rencontre, l’objet(narratif) subit plus ou moins une transformation : la perte des valeurs et le réinvestissement de celles-ci (re-catégorisation thématique), ou la perte de l’objet lui-même. Selon les transformations que le personnage subit, les rencontres peuvent être classées en rencontres thématiques ou signifiantes. Appellons ces personnages provisoirement sujet thématique pour les premières et sujet signifiant pour les deuxièmes.

Processus de la rencontre imprévue : Un personnage est en déplacement selon son propre programme et ses valeurs propres. Pendant ce temps, il fait une rencontre surprise (imprévue). Ce contact avec un autre personnage le conduit à suspendre son objet premier, et parfois, il entend un appel particulier (enigmatique/mystérieux) reconnaissable à un symptôme (signe) à sa dispositive intérieure (une passion, ou une simple curiosité). Afin que ce premier contact se prolonge sous forme de dialogue, il est nécessaire que ce personnage réponde à cet appel. Dans ce cas, nous pouvons construire les schémas suivants :

Schéma II.4.3.1.a : du point de vue du sujet idéal (S1)’
Schéma II.4.3.1.b : du point de vue de S2

L’aspect surpris de la rencontre fait subir aux personnages une transformation : tantôt elle les fait changer leur programme initial et ils adhérent à une nouvelle valeur (cette rencontre devient rencontre signifiante). Tantôt les personnages y résistent malgré l’épreuve de la rencontre et ils gardent leur valeur propre. (donc cette rencontre devient rencontre thématique)

Pour les personnages de SSS, les uns subissent la perte de leur valeur en une seule rencontre, les autres la subissent en plusieurs rencontres successives.

Mouchette, Mme Havret, Saint-Marin, l’abbé Donissan deviennent sujets signifiants. Ces personnages font, dans leur parcours, au moins deux des trois formes de rencontre 383 . Ils sont tous sujets de la quête d’un objet-valeur au départ de leur parcours. Mais en passant d’une rencontre à une autre, chacun d’eux perd son objet premier. Leur rencontre finale devient signifiante pour eux. Ces personnages ont une qualification commune : leur désir d’acquérir l’objet visé les touche au plus profond d’eux-mêmes. Ce désir d’acquérir est tellement intense que la perte de l’objet leur donne un choc terrible. Mme Havret devient folle, Mouchette entre dans une dépression totale (‘la maladie noire’ 384 ), l’abbé Donissan et Saint-Marin sont mortellement épuisés. (Ces personnages subissent donc la perte de l’objet-valeur pendant la rencontre et ne retrouvant pas le sens de cet événement, ressentent un sentiment dysphorique qui engendre quelquefois des actes extrêmement violents : le suicide, l’assassinat, ou bien la folie.) Mais au moment de la plus intense souffrance, il leur arrive une rencontre imprévue qui les transforme en sujet signifiant, et qui demande une interprétation de leur part.

Les sujets thématiques n’arrivent jamais à un nouveau contrat. Malgré le choc de la rencontre, il n’y a aucune transformation extérieure chez eux. Ils ne supportent pas d’être sujet signifiant, ils thématisent tout de suite l’appel entendu. En effet, il leur manque le désir de poursuivre leur quête jusqu’au bout.

On peut donc classer la rencontre comme ‘thématique’ ou ‘signifiante’, suivant que le personnage thématise ou non l’appel (non linguistique) entendu pendant la rencontre prévue ou imprévue.

Dans la rencontre signifiante, nous observons facilement le parcours de ces deux objets. Mais ce parcours de deux objets existe aussi dans une rencontre thématique. Seulement, par manque de compétence, le personnage rate l’occasion qui lui est offerte pour devenir sujet signifiant. Par exemple, le « médiocre » Cadignan ne peut pas devenir sujet signifiant par manque de vouloir-savoir, non plus que Gallet par manque de courage (pouvoir) et l’abbé Chapdelaine par manque de savoir. Ils donnent tout de suite un sens à cet appel qui leur est offert pendant la rencontre imprévue.

Notes
381.

La these de Soon-Ja Park illustre ce point.

382.

Trois catégories de la rencontre : rencontre thématique et signifiant ; bonne et mauvaise rencontre ; rencontre prévue et imprévue.

383.

‘rencontre initiale’, ‘rencontre intermédiaire’, ‘rencontre finale’

384.

p.151