1. La rencontre de rêve de l’acteur Mouchette
‘1) « ... C’était un matin du mois de juin ; au mois de juin un matin si clair et sonore, un clair matin. Va voir comment nos bêtes ont passé la nuit ! avait commandé maman Malorthy (car les six belles vaches étaient au pré depuis la veille) ... Toujours Germaine reverrait cette pointe de la forêt de Sauves, la colline bleue, et la grande plaine vers la mer, avec le soleil sur les dunes. L’horizon qui déjà s’échauffe et fume, le chemin creux encore plein d’ombre, et les pâtures tout autour, aux pommiers bossus. La lumière aussi fraîche que la rosée. Toujours elle entendra les six belles vaches qui s’ébrouent et toussent dans le clair matin. Toujours elle respirera la brume à l’odeur de cannelle et de fumée, qui pique la gorge et force à chanter. Toujours elle reverra le chemin creux où l’eau des ornières s’allume au soleil levant... Et plus merveilleux encore, à la lisière du bois, entre ses deux chiens Roule-à-Mort et Rabat-Joie, son héros, fumant sa pipe de bruyère, dans son habit de velours et ses grosses bottes, comme un roi.’
‘2) Ils s’étaient rencontrés trois mois plus tôt, sur la route de Desvres, un dimanche. Ils avaient marché côte à côte jusqu’à la première maison... Des paroles de son père lui revenaient à mesure en mémoire, et tant de fameux articles du Réveil de l’Artois, scandés de coups de poing sur la table, - le servage, les oubliettes – et encore l’histoire de France illustrée, Louis XI en bonnet pointu (derrière, un pendu se balance, on voit la grosse tour du Plessis) ... Elle répondait sans pruderie, la tête bien droite, avec un gentil courage. Mais, au souvenir du brasseur républicain, elle frissonnait tout de même, d’un frisson à fleur de peau, - un secret déjà, son secret !...’
‘3) A seize ans, Germaine savait aimer (non point rêver d’amour, qui n’est qu’un jeu de société)...
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Germaine savait aimer, c’est-à-dire qu’elle nourrissait en elle, comme un beau fruit mûrissant, la curiosité du plaisir et du risque, la confiance intrépide de celles qui jouent toute leur chance en un coup, affrontent un monde inconnu, recommencent à chaque génération l’histoire du vieil univers. Cette petite bourgeoise au teint de lait, au regard dormant, aux mains si douces, tirait l’aiguille en silence, attendant le moment d’oser, et de vivre. Aussi hardie que possible pour imaginer ou désirer, mais organisant toutes choses, son choix fixé, avec un bon sens héroïque. Bel obstacle que l’ignorance, lorsqu’un sang généreux, à chaque battement du coeur, inspire de tout sacrifier à ce qu’on ne connaît pas ! »
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