B. Découpage

Cette scène de la rencontre peut être divisée en trois séquences marquées par les numéros (1, 2, 3) dans le texte ci-dessus. Chaque séquence commence par la marque du temps : un matin du mois de juin ; trois mois plus tôt, un dimanche ; à seize ans. Ces quatre marques du temps n’obéissent pas au même critère. La première marque indique la saison (un peu mythifiée), la deuxième marque le déroulement du temps (« trois mois plus tôt »), la troisième « un dimanche » c’est le jour où Mouchette se pare comme une reine, et se promène. La quatrième « à seize ans » est un moment particulier dans la vie de Mouchette.

Ces quatre indications de temps sont étudiées par les rhétoriciens (études littéraires) comme situées en un même jour 441 , et nous y reviendrons dans notre analyse. Les marques du temps s’associent à l’action des acteurs : un ordre de maman Malorthy un matin de juin ; leur 1ère rencontre trois mois avant ; à seize ans, Germaine est qualifiée par sa modalité de savoir-aimer. L’espace change aussi : le chemin creux entouré des pâtures ; sur la route de Desvres ; et l’espace intérieur de Germaine. Les 1ère et 2ème séquences relatent un événement réellement passé qui est dans le souvenir de Germaine, et la 3ème séquence décrit par métaphore le paysage intérieur de ce même acteur. Ces observations peuvent être schématisées en trois scènes séquentielles :

  1ère séquence 2ème séquence 3ème séquence
Temps Un matin du mois de Juin Trois mois plus tôt (depuis le mois d’août), un dimanche A seize ans
Acteur Un ordre de maman Ils se sont rencontrés Germaine savait aimer
Espace Le chemin creux Sur la route de Desvres Espace intérieur de Germaine

Nous pouvons les aborder selon les pistes suivantes :

  • i) ‘La naissance d’un désir’ : ‘un matin de juin’ devient pour elle un tableau vivant auquel elle va s’attacher avec tous les sens de son corps (tout son être).
  • ii) ‘La Rencontre’ sera-t-elle le lieu d’un ‘apprentissage de la Parole’ ? : Dans l’événement de la rencontre racontée par le narrateur, le père prend une grande place. On dirait que pendant la rencontre Mouchette n’a pensé qu’à son père 442 .
  • iii) La communication impossible oriente vers une attente comme la réponse à un désir infini : La relation verbale n’est pas établie entre la mère et la fille ; pour Germaine, c’est une mère qui commande (séquence1). Dans la séquence 2, le souvenir du père aveuglé par ses idées fait frissonner le corps de Germaine, et engendre en elle le désir de garder son secret. En effet, elle ne peut pas partager avec ses parents ce qui la rend heureuse, puisque la communication est bloquée chez les Malorthy. Cette communication impossible avec ses parents maintient Germaine dans un désir d’attente. N’ayant pas pu obtenir une relation de parole /ici/ et /maintenant/, elle cherche cette relation /ailleurs/ et /non-maintenant/. A la fin du récit analeptique (p.22), le narrateur révèle comme « tragique » l’attente immanente dans son coeur. Pourquoi l’appelle-t-il ‘tragique’ dès le début de son parcours? Son aspiration ne serait-elle pas liée dès le départ à une quête dans l’imaginaire ?

Notes
441.

Par exemple, Elisabeth Lagadec-Sadoulet, dans sa thèse (Temps et récit dans l’oeuvre romanesque de Georges Bernanos) suppose que c’est le même jour ...

442.

Plus tard, lorsque Germaine va chez Cadignan (p.29-44), leur conversation ne s’occupe que du « que pense le père », et Cadignan ne s’intéresse pas à la pensée de Mouchette. Pour lui, elle est la fille de Malorthy. Cela nous fait supposer que leur 1ère rencontre sur le chemin de Desvres n’est pas une vraie rencontre dans laquelle les deux personnages découvrent chacun en autrui le partenaire de la parole. Pour la question de la ‘vraie ou fausse’ rencontre, nous y reviendrons.