Le narrateur met en scène trois acteurs (la mère, le père, et le héros de Mouchette) suivant le souvenir de Germaine. Ces trois acteurs ont un lien spécifique avec Germaine : ce sont ses parents, et son amant idéal. La mère est appelée ‘maman Malorthy’ ce qui paraît être plutôt un surnom familier, et cette appellation renvoie au point de vue énonciatif de Mouchette. Elle quitte sa mère sur son ordre. Les deux autres acteurs ne sont pas nommés.
Quant aux noms propres, l’acteur Germaine est le seul personnage nommé par son nom de baptême. Ce nom, Germaine, est cité dans la première et la troisième séquences, et non dans la deuxième. A la dernière phrase de la première séquence, les deux chiens du marquis sont nommés par leur nom, par contre, le nom du marquis n’y figure pas. Cette phrase qui commence par « Et plus merveilleux encore, (...) », n’a pas de verbe. Elle peut se diviser en deux parties dont « son héros » occupe la place centrale. La voici :
‘Et plus merveilleux encore, à la lisière du bois, entre ses deux chiens Roule-à-Mort et Rabat-Joie,’ ‘son héros,’ ‘fumant sa pipe de bruyère, dans son habit de velours et ses grosses bottes, comme un roi.’Cette phrase est donc construite en chiasme plaçant « son héros » en son milieu. Les deux chiens et la pipe du héros sont désignés par leur nom propre et cela sert de décor royal à ce personnage apparu. Pourtant dans cette description il n’apparaît aucun signe de royauté. La phrase commence par « Et plus merveilleux encore ». Si donc ce personnage est « comme un roi », c’est bien du point de vue de l’acteur Mouchette amoureuse de lui. Ce décalage entre la description figurative et la figure de ‘roi’ crée chez le lecteur un peu d’ironie pour cet acteur vu par Germaine ‘son héros’, ‘un roi’.
Dans la deuxième séquence, des noms propres reviennnent abondamment dans le souvenir de Germaine : le titre de la revue ‘Réveil de l’Artois’, le nom du roi Louis XI et la tour ‘Plessis’. Ces noms propres que Mouchette répète en se souvenant des paroles de son père peuvent être l’indice que, dès le début de leur rencontre, la grande problématique du monde actuel où s’opposent deux pouvoirs (royaliste, républicain) est inscrite au sein de leur relation. Dans ce cas, le frisson de Germaine (éprouvé en se souvenant du père) est un indice de ce qu’elle pressent qu’elle a dépassé (quelque part) le seuil à partir duquel se confrontent deux pouvoirs irréconciliables (représentés par le père et le marquis). Autrement dit, « le frisson » de Germaine révèle le sujet de la passion, c’est une manifestation corporelle du conflit idéologique. Son corps est pris en tension entre deux rationalités : politique et affective. C’est ainsi que dès le départ de son parcours dans le roman, l’acteur Mouchette est présentée ainsi.
On se demande donc si l’auteur n’aurait pas livré au lecteur, dans cet acteur Mouchette, une victime d’un temps mouvementé par les diverses (issues) situations politiques ? C’est en suivant cette piste que nous pouvons lire la première page de SSS, où le narrateur présente Mouchette et l’insère dans un contexte tourmenté 443 .
p.11 « Voici l’heure où commence l’histoire de Germaine Malorthy, du bourg de Terninques, en Artois. Son père (...) Car le doctrinaire en révolte, dont le temps s’amuse avec une profonde ironie, ne fait souche que de gens paisibles. La postérité spirituelle de Blanqui a peuplé l’enregistrement, et les sacristies sont encombrées de celle de Lamennais. »