Ce texte est tout à fait débrayé et il est écrit à la troisième personne. Une seule fois, il est embrayé dans le style direct de la mère Malorthy : Je/tu, nous. « Nous » est utilisé par rapport aux objets (« nos bêtes »). La relation entre Je/tu est possible, lorsqu’elles (mère et fille) visent leur objet-valeur commun. Le narrateur décrit le paysage en suivant le regard de l’acteur Germaine. Le paysage, rencontrant la triple figure « toujours + elle (sujet) + futur (verbe) », devient somatique et rend vivante la scène du souvenir : toujours elle entendra, respirera, reverra. Dans ce tableau vivant où sont touchés ses trois sens corporels, son héros se dessine sous l’aspect d’un roi.
Quant à la place de l’instance d’énonciation, elle se situe hors du temps, de l’espace et des acteurs. Le sujet d’énonciation est associé au spectacle, mais sa place est en dehors du spectacle. Il peut être confondu avec le narrateur omniscient qui décrit le lieu en alternance entre un présent qu’elle vit (un matin du mois de juin) et un futur qu’elle va vivre. Dans ce passage, Mouchette est fascinée par le spectacle dans tous ses sens : l’ouïe, la vue, et l’odorat sont concentrés, fixés et vivifiés. L’acteur principal du spectacle est icônisé dans son souvenir.
L’apparition de son héros ouvre le deuxième volet de son souvenir que l’énonciateur renvoie à trois mois plus tôt lorsque s’est déroulée leur première rencontre. Dans son souvenir, une autre figure de roi apparaît : Louis XI avec l’image du pendu derrière lui. (Louis XI vs son héros-roi) 469 Cette opposition venue de l’histoire de France, « roi » vs « républicain », prend une grande importance dans le souvenir de Germaine, c’est l’opposition entre son roi et son père, le brasseur républicain. De la jonction de ces deux acteurs, il ne peut résulter que la mort de son roi. Ce rappel du risque de la perte de son bonheur affecte ou touche son corps-même : « elle frissonnait ..., d’un frisson à fleur de peau ». Cette contradiction engendre en elle un secret : le désir de sauvegarder son bonheur qui est la vie de son roi. Ici, c’est bien de la vie et de la mort qu’il s’agit. C’est pourquoi ce moment d’attente est obligatoirement le moment de « vivre ». Son choix est bien du côté de la vie. Après cette rencontre, son élan vers la vie trouve une orientation bien précise, elle organise toutes choses, et elle ne manque pas d’héroïcité (non plus).
Pourtant, tant que ses souvenirs restent vivants, le sujet Mouchette est fasciné par ce qui lui est arrivé et ne peut pas vivre le présent ni se projeter dans le futur, mais il est captivé par ses souvenirs 470 . La rencontre idéale de Mouchette atteint une fixation en elle 471 . Elle va être obsédée par cette image jusqu’à une autre rencontre qui aura lieu au même endroit.
Il y a deux figures de ‘roi’ : Louis XI est un personnage qui vient de France illustré, il a le rôle thématique de ‘l’oppresseur’. Tandis que son héros-roi est une figure féerique. Donc le texte pose Mouchette entre ces deux figures de roi...
plus tard, le travail de Donissan auprès d’elle, ce sera de la détacher de ce lieu qui est devenu un point de fixation pour elle et où elle a engagé ses sens.
Ph. Julien, Le retour à Freud de Jaques Lacan, 1990, p.54-55