B. Le problème de la communication

Dans la scène de la rencontre de Mouchette avec son héros, le narrateur rapporte le contenu de ce dont elle se souvient et de l’attitude qu’elle a prise pour répondre. Elle est dans un sentiment euphorique. Pourtant le souvenir de son père éprouve son corps par un sentiment dysphorique qui l’empêche de communiquer son bonheur à ses parents (espace familial). En effet, chez les Malorthy, la communication se réalise dans une seule direction. Le père commande à tout le monde, et la mère commande à sa fille, il n’y a pas de possiblité de réponse. Nous avons remarqué plus haut cette non-communication dans une discussion entre le père et la mère au sujet de leur fille 472 . Cette communication impossible accentue chez Mouchette la solitude, l’ennui, et le manque de joie, qui la maintiennent dans l’attente d’oser et de vivre.

Son attente est donc liée au « moment d’oser et de vivre ». Le verbe « oser » (avoir l’audace, le courage de ; prendre des risques) contient déjà une figure de « défi ». Mouchette entre pour la première fois dans le monde du langage par « non » : le narrateur dit qu’en le proférant, elle s’est sentie si libre, si vivante 473 . Si elle a attendu le moment d’oser et de vivre, ce serait le moment de dire la vérité à celui qui lui impose sa parole comme une loi absolue. Mais dans ce roman, il y a un autre moment où elle s’est sentie vivre : c’est au moment de sa rencontre avec l’abbé Donissan. Sur la même route de Desvres, Donissan et Mouchette arrivent à une communication véritable, et, à la fin de leur échange, elle s’est sentie vivre encore 474 . A partir de cette analyse, nous pouvons supposer que le parcours de Mouchette sera une recherche de la vérité, et sa nouvelle naissance aura lieu lors de sa rencontre avec autrui qui accepte avec pleine confiance ses paroles comme vérité, sa parole vraie.

« Un mot pour conclure : d’une rencontre illusoire à l’imagination »

Par rapport au modèle standard, la rencontre avec Cadignan (malgré l’aspect euphorique de l’acteur Mouchette) n’est qu’un fruit d’imagination de Germaine. Elle trouve son bonheur en rencontrant le marquis, son partenaire idéal et, pour garder son bonheur en face de son père qui s’y oppose, elle devient un sujet de quête. Elle-même est opposée à l’idéologie de son père, et gardant en elle ‘un secret’, elle se transforme en un combattant qui attend le moment favorable. On peut supposer que cette transformation résulte d’un blocage de communication avec ses parents. Lorsque les parents commandent et imposent leurs idées, ils ne désirent pas trouver un répondant face à eux. De ce point de vue, la rencontre avec le marquis est une chance pour Germaine car, pour la première fois dans le roman, elle ‘répond’... Pourtant cette ‘réponse’ semble ne pas avoir d’interlocuteur. (c’est une réponse avortée ?) Nous verrons comment Mouchette devient vraie, lorsque dans sa deuxième marche sur la même route de Desvres, elle dialogue avec l’abbé Donissan.

Notes
472.

p.21-22 : « Elle eût été bien embarrassée d’en dire plus, sinon qu’elle le sentait bien. Mais Malorthy ne se laissait pas convaincre : ... Car il n’entendait pas qu’on plaisantât sur le droit conjugal, le seul que certains libérateurs du genre humain veulent absolu. »

473.

p.24

474.

p.156