2. Une rencontre ténébreuse

Voici les problématiques préalables qui peuvent être soulignées avant d’entrer dans l’analyse de la rencontre de Donissan avec le maquignon :

i) L’ambiguïté du découpage : Leur rencontre peut être délimitée par l’apparition, puis la disparition du maquignon. Car, à la fin de leur dialogue, Donissan bute sur le vide, le maquignon s’évapore. On ne sait plus s’il a rencontré sur la route un homme ou un esprit ? De plus, l’apparition du maquignon auprès de l’abbé est ambiguë, et le texte manque de clarté au moment où l’abbé prend conscience de la présence de quelqu’un à ses côtés 475 . En outre, le maquignon assure qu’il était déjà derrière l’abbé pendant qu’il s’égarait sur la route 476 .

ii) La longueur du texte choisi : Même si nous délimitons cette rencontre à la présence du personnage du maquignon (donc p.122-139, 18 pages en tout), la longueur du texte à analyser est particulièrement importante. Nous avons vu dans l’analyse précédente, combien on peut étendre l’analyse sémiotique d’un petit passage, et alors l’on ne finit pas de creuser sa signification.

iii) La difficulté de l’analyse narrative : Le schéma P1n (schéma III.1.2.2.B) montre qu’aucun programme conçu par les personnages de SSS n’aboutit à son terme, tous sont voués à l’échec et cependant Donissan paraît réussir dans tout ce qu’il entreprend dans son activité de vicaire à Campagne 477 . On dirait qu’il réussit purement par hasard. D’ailleurs ses réussites étonnent son entourage, et accentuent l’étrangeté de Donissan. Les seuls programmes réussis dans SSS sont, en effet, l’oeuvre de la malice et celle du maquignon-Lucifer. C’est la réussite de la tromperie. Et le narrateur ne cesse d’intervenir à tout moment dans SSS pour dénoncer cette oeuvre de malice. Pour quoi ?

iv) Du côté de l’énonciation : la scène de la rencontre proprement dite avec le maquignon est entièrement décrite du point de vue de l’acteur Donissan ; Il n’apparaissent ni celui du maquignon, ni celui du narrateur. Même lorsque celui-ci parle avec le ‘je’ d’énonciation (« c’est alors, dis-je, que le vicaire de Campagne connut que, (...) » 478 ), il ne s’écarte pas du point de vue de Donissan. C’est le seul passage de SSS dans lequel s’exprime une unanimité de point de vue et cela paraît étrange pour ce roman qui a la réputation de multiplier les points de vue. Pourquoi telle unanimité de point de vue dans cette rencontre ? Est-ce par nécessité ?

Une fois ces problématiques relevées, notre cheminement pour l’analyse de ‘la rencontre ténébreuse’ se dessine en deux temps. Dans un premier temps, nous nous contenterons d’étudier le découpage du contexte. Dans ce but, nous ferons trois découpages. Ceux-ci permettront, dans un deuxième temps, de déterminer les scènes figuratives. Et chaque scène aura un thème spécifique.

Notre but n’est pas de détailler comme nous l’avons fait au cours de l’analyse précédente (III.2.1), mais de montrer plutôt l’efficacité du découpage, et comment un simple découpage (mais bien fait) peut donner signification à un texte.

Notes
475.

p.123 « Il se souvient de l’avoir suivi, peut-être - une heure ou deux heures plus tôt. Mais alors il était seul, semble-t-il... Car depuis un moment (...) il n’est plus seul. Quelqu’un marche à ses côtés. »

476.

p.128 « Il y a longtemps que je vous suis, que je vous vois faire, l’ami ! J’étais sur la route, derrière vous, quand vous la cherchiez à quatre pattes... votre route... Ho ! Ho !... »

477.

p.89-96. Surtout le monologue de Menou-Segrais concernant son vicaire, p.96 « ‘(...) Sa conduite est parfaite, irréprochable : son zèle ardent, efficace, et déjà son ministère porte du fruit... Que lui reprocher ? Combien d’autres seraient heureux de viellir assistés d’un tel homme ! Son extérieur est d’un saint, et quelque chose en lui, pourtant, repousse, met sur la défensive... Il lui manque la joie...’ »

478.

p.128