Le personnage du ‘maquignon’ est une figure qui a soulevé un vif débat dans les critiques du roman SSS à l’heure de sa parution. Aujourd’hui, on est plus habitué à voir le démon apparaître sous forme humaine, et Pierrette Renard voit en lui une figure du ‘fantastique du XXe siècle’ 479 . En effet, plusieurs études littéraires sur SSS sont inspirées de la personnage biblique.
Dans la Bible, d’une part, au livre de Job, Satan assure la fonction d’accusateur durant le dialogue entre lui et Dieu au cours de l’Assemblé céleste ; il obtient un pouvoir absolu sur Job, sauf celui de le faire mourir. Dans ce cas, il semble que Satan existe indépendamment de la volonté humaine, et il paraît donner la contre-preuve du libre arbitre dont parle Augustin.D’autre part, selon la théologie de l’évangile de saint Marc, l’esprit du mal n’apparaît pas sans emprunter un corps humain. Cependant, selon la version de ce même évangile, dans l’épisode de la tentation de Jésus au désert (Mc 1, 13), Satan ne parle pas (ne s’adresse pas à Jésus) ; tandis que les évangiles de saint Matthieu (Mt 4,1-11) et de saint Luc (Lc 4,1-13) rapportent les conversations entre le diable et Jésus (que personne n’a entendues ni d’ailleurs n’a pu contrôler).
Robert Kemp 480 , à l’heure de la parution de SSS, accuse Bernanos et le soupçonne de manichéisme 481 . Paraît une étude critique de SSS spécialement consacrée à la comparaison entre la figure de Job et celle de l’abbé Donissan 482 .
Dominique Cerbelaud (Dominicain), à propos de la conception de Satan, nous dit que dans la tradition chrétienne et monastique, Satan est conçu comme ‘un auteur du combat spirituel’ 483 . Plus significative, est la prise en considération de saint Joseph reconnu comme maître de la vie spirituelle de la vie monastique 484 . (Donissan compare à saint Joseph le carrier rencontré à la suite du maquignon) S’il en est ainsi, sur la route d’Etaples, Donissan ne livrerait-il pas un combat spirituel par sa rencontre avec le maquignon. Par exemple, M.Estève 485 rapproche dans son étude la rencontre de l’abbé et du maquignon de ‘la tentation au désert (Mt 4, 1-11)’ de Jésus.
Pourquoi les littéraires sont allées chercher les personnages bibliques pour expliquer le problème du mal posé dans SSS ?
En effet, la question ‘le pourquoi du mal’, au lieu de cesser à poser, continue encore de nos jours sans d’autres résolutions éminentes. Cela nous invite à revisiter les sciences humaines (théologie, philosophie, anthropologie-religion, etc.) comment ils conçoivent la problématique du Mal ou de ses représentants, Satan. Ce détour nous fera connaître d’abord combien difficile de saisir la racine du Mal qui s’exerce encore plus fort dans l’humanité, puis comment et en quelle manière que Bernanos présente et dénonce l’oeuvre du Mal au sein de l’humanité, lui qui a vu et vécu le mal du monde au début du XXe siècle.
« Problème du mal » :
Paul Ricoeur dans son livre,『Le Mal, un défi à la philosophie et à la théologie』 486 , réflechit sur le problème du mal à la fois du point de vue philosophique et théologique. En conclusion, il propose une lecture du mal non du côté de l’origine du mal (le problème insoluble par les pensées philosophiques) mais à partir de ‘je, ici, et maintenant’ avec trois éléments : ‘Penser, agir, sentir’. Sur le plan du ‘penser’, l’auteur propose non pas la théorie de la rétribution, mais l’aporie de cette théorie à laquelle l’action et la spiritualité sont appelées à donner une réponse. Sur le plan de l’agir, il déplace la question du mal, non pas ‘d’où vient le mal ?’ mais ‘que faire contre le mal ?’ Le troisième terme : ‘sentir’, a pour but de spiritualiser chez les souffrants le sentiment d’être victimes du mal. Pour cela, le philosophe propose trois étapes vers la spiritualisation : la première c’est d’intégrer l’ignorance qu’elle engendre au travail de deuil. C’est là « le degré zéro de la spiritualisation de la plainte, rendue tout simplement à elle-même. » 487 La deuxième étape est de laisser la lamentation se répandre en plainte contre Dieu. « L’accusation contre Dieu est ici l’impatience de l’espérance. ». La troisième étape, « c’est de découvrir que les raisons de croire en Dieu n’ont rien de commun avec le besoin d’expliquer l’origine de la souffrance. (...) Croire en Dieu malgré..., c’est une des manières d’intégrer l’aporie spéculative dans le travail de deuil. » 488 Ricoeur termine sa réflexion sur le livre de Job. « Job est arrivé à aimer Dieu pour rien, faisant ainsi perdre à Satan son pari initial. Aimer Dieu pour rien, c’est sortir complétement du cycle de la rétribution, dont la lamentation reste encore captive, tant que la victime se plaint de l’injustice de son sort. » 489 Ricoeur considère cette attitude de Job : ‘aimer Dieu pour rien’, comme le sommet de la sagesse. C’est seulement par la logique du don que Jésus a apporté par sa souffrance et par sa croix, qu’on peut échapper à la stratégie de Satan 490 . (L’opposition de deux logiques : rétribution et don, que propose Ricoeur, reviendra dans notre analyse.)
René Girard, spécialiste du ‘bouc émissaire’, argumente en tant qu’‘anthropologue’. Dans son livre,『Je vois Satan tomber comme l’éclair』 491 , il éclaire le problème de Satan par le ‘cycle mimétique’. L’auteur commence par l’étude des évangiles, en se demandant comment Satan y est conçu. Ensuite, il rappelle qu’au point de vue anthropologique, Satan est toujours représenté sous la forme des divinités archaïques et païennes comme quelqu’un dans le monde. « Même si la transcendance satanique est fausse, privée de toute réalité sur le plan religieux, sur le plan mondain ses effets sont indéniables et formidables. » 492 Pourquoi les évangiles recourent-ils à un personnage nommé Satan ou le diable, plutôt qu’à un principe impersonnel ? posant ainsi sa question, René Girard éclaire la vraie problématique de Satan :
‘« La raison principale, je pense, c’est que le vrai manipulateur du processus, le sujet de la structure dans le cycle mimétique, n’est pas le sujet humain qui ne repère pas le processus circulaire dans lequel il est pris, mais bien le mimétisme lui-même. Il n’y a pas de vrai sujet en dehors du mimétisme et c’est cela que signifie en fin de compte le titre de prince de ce monde reconnu à cette absence d’être qu’est Satan. » 493 ’‘Hors du mimétisme, pas de Satan’... Dans son livre, R.Girard pousse encore plus loin. « Les peuples n’inventent pas leurs dieux, mais ils divinisent leurs victimes. »
Nous verrons ce problème du mal et de Satan, dans SSS. Comment Bernanos constate-t-il ce problème du mal avec son saint : ‘le saint de Lumbres’.
Bien que Paul Ricoeur et René Girard soient l’un philosophe, l’autre anthropologue, ils s’appuient d’abord le problème du Mal sur la théologie chrétienne, élargissant ensuite leurs pensées à leur propre champ de réflexion. Cela prouve que le Mal est devenu une vraie problématique dans l’histoire humaine avec la révélation de Dieu unique et avec la venue du Christ. Nous avons vu que pour les deux auteurs le phénomène du Mal est conçu comme un cercle : cercle de la rétribution pour Ricoeur, cercle mimétique pour R.Girard. Ainsi au lieu d’identifier ce qu’est le Mal, ils ont cherché la structure du Mal et comment on peut sortir de cette emprise du mal. Nous verrons dans notre analyse ci-dessous que Bernanos traîte à sa manière ce problème du Mal : comme le circuit (cercle) qui enferme le personnage du roman.
Revenons au maquignon. C.W.Nettelbeck définit appuie le personnage d’abord du point de vue du carrier, puis du point de vue de l’abbé Donissan. Il donne ainsi plus de crédit au témoignage du carrier qu’à l’expérience vécue par l’abbé sur le chemin. Il présente la scène de la rencontre avec le maquignon comme un cauchemar de l’abbé. Voici l’article concernant le ‘maquignon’ :
‘« ‘maquignon’ : Homme de Marelles ; un marchand de « bidets ». Il trouve Donissan perdu dans la campagne et, avec l’aide de Jean-Marie Boulainville, tâche de le secourir. Dans l’esprit de Donissan, l’identité du maquignon se transforme, se confond avec celle de l’Esprit du mal, Satan. Dans une longue scène de cauchemar, le démon, qui a égaré le prêtre dans les champs, tente et tourmente sa proie. Donissan résiste, mais comprend que l’équivoque est entrée dans sa vie intérieure pour toujours. » 494 ’M.Milner considère que la scène de la rencontre du vicaire avec Satan (sous la figure du maquignon) est un échec : « Bernanos a commis une faute, en dépit des mérites poétiques de tout le passage. » 495 . Dans sa critique, M.Milner propose au lecteur trois approches : les approches psychologique, fantastique, théologale. Nous considérons ici seulement sa deuxième approche. A celle-ci, il attribue deux passages concernant la rencontre avec Satan : « Elle (l’approche fantastique) intervient ici à deux moments capitaux de l’action : au moment de la rencontre de l’abbé Donissan avec Satan, et d’une façon plus fugitive, au moment du miracle manqué. » 496 Il critique ensuite l’auteur à partir des suppositions de son intention :
‘« Grand admirateur de Barbey d’Aurevilly et de Villiers-de-Isle-Adam, Bernanos a sans doute pensé que la meilleure manière de proclamer sa foi en l’invisible à la face d’un monde qui le rejette avec dédain, était d’amener l’invisible à se manifester corporellement. C’était là un mauvais calcul, car il entre, dans le fantastique le plus réussi, une certaine part de convention artistique qui l’empêche de créer chez le lecteur autre chose qu’une suspension du jugement - ce qui ne va pas sans un certain scepticisme. Bernanos a d’ailleurs si bien senti cette nécessité inhérente au fantastique qu’il se garde bien d’affirmer que la rencontre avec Satan a réellement eu lieu. Tout, au contraire, dans la manière dont il l’introduit, nous porte à croire que la scène est rêvée (...) De même, à la fin de la scène, incapable d’aucun mouvement, ne vivant que par l’ouïe, Donissan paraît s’éveiller d’un songe. Il y a donc là du fantastique, et du meilleur, particulièrement en ce qui regarde la forme sous laquelle Satan se manifeste : celle d’un maquigon jovial, goguenard, ignoblement familier, et dont la présence physique a quelque chose de gluant. On peut se demander en revanche s’il était bien utile de prêter au personnage des traits traditionnels, tels que le fameux rire, le feu d’artifice tiré d’une pierre, ou les bonds qu’il est obligé d’accomplir devant l’être consacré. » 497 ’La critique de M.Milner, se reférant ensuite à l’étude de Von Balthasar 498 , prend un ton presque accusateur parce que Bernanos a fait de Satan un être humain :
‘«En mettant en relief le caractère mythique de cette représentation de Satan, Urs von Balthasar touche à l’essentiel. Ce qui est grave c’est de faire de Satan un être doué d’une personnalité semblable à celle des hommes, car il est impossible d’imaginer qu’il n’y ait pas dans un tel être quelque chose à sauver. Faire de Satan le partenaire réel d’un dialogue c’est lui prêter une action positive qui implique un soupçon de manichéisme et le priver d’un de ses principaux pouvoirs, qui est de converser avec l’homme en se glissant à l’intérieur de sa pensée et en lui offrant comme un reflet de sa propre personne. » 499 ’Il est vrai, que dès avant la parution de SSS, cette création de Satan sous l’apparence d’un être humain d’un homme ordinaire, le maquignon, était un scandale pour l’éditeur, Jacques Maritain. 500 Même à une époque plus tardive, les théologiens comme Urs von Balthasar dans les années 60, sont encore scandalisés de cette représentation qui problématise le salut de cet homme (le maquignon). D’ailleurs, Jean de Fabrègues 501 rapporte ‘le scandale’ que SSS a connu lors de sa parution. Il énumère les protestations : celle de Paul Souday qui critique Bernanos à propos du maquignon : « Le Diable déguisé en maquignon, voilà du réalisme » dans sa chronique Temps ; celle de Robert Kemp qui l’accuse de manichéisme ; et celle de René Johannet qui dénonce SSS, ‘le Satan d’opérette’ dans les Lettres. Quant à M.Estève dans son étude relativement récente (1991), il voit encore dans ce personnage : un « personnage de fiction (qui) relève du fantastique romanesque et du mythe. » 502
Autour du maquignon divers débats se croisent : cette scène de la rencontre est-elle réelle ou irréelle ; si elle est réelle où est le salut de cet homme ; sa création donne au roman un ridicule fantastique ; ce n’est pas un roman sérieux ; cette scène est un mauvais calcul de Bernanos, ou bien l’auteur a commis une grave erreur, etc ... Selon les critiques, ce personnage ne devrait pas exister ... et s’il est apparu à l’abbé Donissan, ce n’est que dans un rêve, etc. Pourtant tant que le roman SSS sera lu par un lecteur, le maquignon vivra lui aussi... de même Mouchette et l’abbé Donissan vivent dans le coeur du lecteur. Toutes ces questions nous invitent à lire attentivement le passage de la scène de la rencontre du maquignon avec l’abbé Donissan.
Notre objectif dans les pages suivantes, est de faire un découpage plus détaillé concernant le ‘personnage du maquignon’. Ces découpages peuvent nous aider à voir la place du passage par rapport au contexte, et leur observation nous éclairera sur la signification de la rencontre, et sur le sens (ou fonction) qu’elle apporte à l’ensemble du parcours de l’acteur Donissan.
Paysage de l’invisible, 1990, p.169 - 170 : en s’appuyant sur le roman (SSS, p.162-3) P. Renard commence son argumentation par une interrogation : « Le lieu de la tentation ne serait-il pas, en réalité, l’esprit torturé de Donissan ? ». Cet espace intérieur rejoint l’espace infini et le temps suspendu de la narration, qui aboutit au thématique du ‘fantastique’ : « La description de l’espace inquiète le lecteur comme Donissan (SSS, p.164) est inquiété par la puissance inconnue qui anime ces lieux et qui prend tout à coup la forme d’un petit homme qui marche à ses côtés (...) C’est à ce moment que le texte bascule du fantastique du XIXe siècle à ce que l’on pourrait appeler le fantastique du XXe où il n’y a plus qu’un seul objet fantastique : l’homme. Car même si le démon, auquel le narrateur a donné l’apparence banale d’un maquignon, continue sa gesticulation devant l’abbé, c’est en lui-même désormais que Donissan voit s’ouvrir le paysage fantastique, c’est dans son regard intérieur que semble ‘se creuser et s’enfler sous lui, non plus la mer, mais tout l’abîme sidéral, (...)’ (SSS, p.177) »
Robert Kemp, La liberté, 8 avril 1926, mais d’autres aussi : Jean Guiraud, La croix, 23-24 mai 1926 ; Emile Baumann, Les Lettres, mai 1926. Et on peut lire la réponse de Bernanos dans les lettres adréssées à Jacques Maritain (lettre 14 fev. 1926, Correspondance I, p.210-213) et à Jean Guiraud (lettre mai 1926, Correspondance I, p.225-226)
Louis Panier donne la définition de ce concept ‘manichéisme’ dans son livre, Le péché originel, Naissance de l’homme sauvé, sous l’aspects de la doctrine augustinienne. p.36 : « Le manichéisme pose au principe la séparation du bien et du mal, deux instances, ou deux substances, dont la rivalité soutient la coupure entre ce monde-ci, lié au mal, et la réalité bonne de Dieu. Pour les humains, l’origine du mal est liée à une chute des âmes dans ce monde-ci, le salut est dans une sortie de ce monde mauvais pour rejoindre la réalité de Dieu. (...) N’est-elle pas une bonne rationalisation du péché originel qu’elle intègre dans l’affirmation d’une ‘nature mauvaise’ ou d’un mal de nature, d’autant mieux d’ailleurs qu’on fait une lecture allégorique du récit de la Genèse. Le refus du manichéisme oriente la réflexion d’Augustin du côté du libre arbitre (le vouloir, la liberté) dont il faut toutefois préciser le lien à la nature. La question devient alors celle-ci : comment le mal peut-il vicier la nature humaine à partir du vouloir ? Mais la réflexion achoppe : le mal est n’est pas par nature ; il dépend et il ne dépend pas de la volonté... Et en aucune façon, Dieu ne peut être à l’origine du mal. La corrélation en l’homme de la nature et de la volonté devient un pivot de la question du péché originel. La réponse d’Augustin au manichéisme consiste à ramener toute la création par rapport à Dieu ; le mal n’est pas substance, il est défaut d’être et de bien. D’autre part, Augustin développe une conception historique du mal, adossée à la lecture littérale du récit de la Genèse. Il y a un commencement au mal ; il y a l’effet réel d’une volonté de l’homme : ‘C’est donc dans la volonté que commence le péché, mais là où commence le péché commence le mal, qui consiste soit à agir contre un précepte juste, soit à souffrir selon un juste jugement.’ (Contra Faustum, XXII, 22) » ; voir aussi J.P. Van Saten, « Appendice : Bernanos et le manichéisme », dans L’essence du Mal dans l’oeuvre de Bernanos, 1979, p.190-199.
Ph. Le Touzé, « Un Job moderne », Le Mystère du réel dans les romans de Bernanos, le style d’une vision, Librairie A.-G. Nizet, Paris, 1979, p.53-63.
Dominique Cerbelaud, Le diable, 1997, p.35-40. Dans ce passage, intitulé ‘un acteur du combat spirituel’, il évoque un livre spirituel écrit par saint Athanase,『La vie d’Antoine』et l’approche d’autres spirituels d’expériences analogues, voire identiques (le curé d’Ars, Marthe Robin, etc.), et il pose une question p.39 : « Mais de quoi s’agit-il dans ces manifestations physiques ou imaginatives du monde infernal ? » Donc il attribue les manifestations physiques aux expériences spirituelles, p.39 : « Comme telles, elles restent pour une large part personnelles voire incommunicables. Ce n’est pas ‘pour le public’ (...) mais dans l’histoire personnelle et le cheminement intime d’un ‘chercheur de Dieu’ » : De ce point de vue, l’apparition de Satan sous l’apparence du maquignon devient intéressante (on peut presque dire importante) pour le cheminement intérieur ‘chercheur de Dieu’ qu’est l’abbé Donissan.
Ph. le Touzé, 1981 (thèse soutenue en 1977), p.583 : « Entre le SSS et le livre de Bremond, il est d’autres traits de ressemblance, (...) Brémond note : ‘(...) dans les écrits de Lallemant et de son école, les preuves d’une dévotion toute spéciale à saint Joseph, devenu, surtout depuit sainte Thérèse, le patron de la vie intérieure’ (Brémond, Le triomphe de l’amour divin, édité en 1830, p.61, note1) (...) Or la première vision que reçoit Donissan de ‘l’intime d’un autre être’ (SSS, p.188) est précisément celle du carrier, figure de saint Joseph (SSS, p.189), dont les vertus de douceur, d’humilité, de silence et de recueillement –vertus traditionnelles de l’intériorité- le pacifient. Jeanne des Anges gravement malade est guérie par une vision de saint Joseph et par une onction de sa main’ (Brémond, 1830, p.240) »
M. Estève, 1982 (thèse soutenu en 1977), p.157 : « Cette phase finale pourrait d’ailleurs être rapprochée de la tentation de Jésus au désert (Mt 4,1-11), non certes au niveau du déroulement de l’action, mais à celui de l’attitude intérieure de Donissan qui finit par s’adresser à Satan en reprenant les paroles du Christ. Le combat livré par le prêtre se déroule en trois temps, (...) Dans un premier temps, pris de pitié, Donissan tente de faire fuir son adversaire en s’appuyant sur ses seules forces, sur son pouvoir de suggestion : ‘Va-t-en ! (...)’ (SSS, p.178) Dans un second temps, (...) le prêtre a recours à l’oraison, unie à la prière, et reconnaît son impuissance à vaincre seul un aussi redoutable adversaire : ‘Non ! cette force ne vient pas de moi, et tu le sais.’ (SSS, p.178) ‘C’est de Dieu que je reçois cette heure la force que tu ne peux briser.’ (SSS, p.180) Enfin, dans un trosième temps, après que le maquignon lui est apparu semblable à son ‘double’, Donissan fait appel à la croix, au signe de la croix qu’il trace sur sa poitrine, et prononce littéralement les paroles adressées par le Christ à Satan, dans le désert : (...) ‘Retire-toi, Satan !’ (SSS, p.181) »
Paul Ricoeur(1913 – 20 mai 2005, philosophe français), Le Mal, un défi à la philosophie et à la théologie, Genève, Labor et Fides, 1986.
P. Ricoeur, Le Mal, 1986, p.42
P. Ricoeur, 1986, p.42-43
P. Ricoeur, 1986, p.43-44
P. Ricoeur remarque dans un autre article deux systèmes : la logique de l’échange et la logique de la surabondance. Voir l’acticle, « La logique de Jésus. Romains 5 », EthR, 55, 1980, p.420-425
René Girard (du point de vue anthropologie-religion) va jusqu’à dire ‘Satan est toujours quelqu’un’, dans son livre, Je vois Satan tomber comme l’éclair, p.78-80 : « Affirmer que Satan n’est pas, lui refuser l’être, comme fait la théologie chrétienne, c’est dire entre autres choses que le christianisme ne nous oblige pas à voir en lui ‘un être qui existe réellement.’ L’interprétation qui reconnaît en Satan le mimétisme conflictuel permet pour la première fois de ne pas minimiser le prince de ce monde sans le doter d’un être personnel que la théologie traditionnelle à juste titre lui refuse. Dans les Evangiles, les phénomènes mimétiques et victimaires peuvent s’organiser à partir de deux notions différentes : le première est un principe impersonnel, le scandale. Le deuxème est ce personnage mystérieux que Jean appelle le diable et les Evangiles synoptiques Satan. (...) Le scandale et Satan sont fondamentalement la même chose (mais différent ?...) dans le scandale, l’accent porte sur le processus conflictuel à ses débuts, sur les relations entre les individus, par conséquent plutôt que sur les phénomènes collectifs. A partir du seul scandale, il est difficile, je pense, de parvenir à une explication complète du mécanisme victimaire et de la signification anthropologique de la Croix. (... pourtant saint Paul dit le scandale est la Croix ?) Avec l’expulsion satanique de Satan, au contraire, le cycle mimétique est refermé, la boucle est bouclée car le mécanisme victimaire est explicitement défini. Mais pourquoi Satan ne se présente-t-il pas comme un principe impersonnel, à la fois des scandales ? Parce qu’il désigne la conséquence principale des mécanismes victimaires, l’émergence d’une fausse transcendance et les nombreusse divinités qui la représentent, Satan est toujours quelqu’un. »
R. Girard, 1999, p.98
R. Girard, 1999, p.97
C. Nettelbesk, 1970
M. Milner, 1967, p.93
M. Milner, 1967, p.95
M. Milner, 1967, p.95-96
Hans Urs von Baltasar, Le chrétien Bernanos, 1954 (traduction en français en 1956), p.329-332. Surtout p.331-332 : « L’élément mytique dans la scène du SSS, c’est que Donissan s’entretient avec le démon qui rit, (...) qu’il se comporte avec lui comme s’il était son semblable. Bien plus, le diable lui fait conversation, et lui dit la vérité (...) Avec un double qui dit la vérité, on peut avoir des relations humaines. Ainsi Bernanos prête-t-il ici à son héros une attitude qu’il définira plus tard, comme le caractère même de tous les faux entretiens avec l’enfer : ‘une curiosité sans bornes’ (SSS, p.176) (...) Céder à une telle envie, c’est être sur la voie qui mèle ? (...) mais il le fait en des termes qui font trop de place encore à la mythologie romanesque, et cette mythologie menace de tout gâter. L’auteur y reviendra dès son second roman, et de façon de plus en plus décidée à chacun des suivants. Sinon, il aurait certainement abouti à cet impossible sentimentalisme théologique que Papini vient de rajeunir, mais qui ne sera jamais une voie ouverte à des chrétiens. » ; ici von Balthasar fait allusion à Giovanni Papini qui a écrit « La terre promise de Satan » où Papini cite un bon nombre d’écrivains français dans lesquels il trouve du satanisme. Donc G. Bernanos et F. Mauriac y sont compris. Papini emprunte aussi le mot du philosophe Alain en 1921 : « La plus belle ruse de Satan est de faire croire qu’il n’existe pas ! »
M. Milner, 1967, p.96
sur ce sujet William Bush donne diverses argumentations dans son ‘avant-propos’ du ‘texte établi et annoté’ du roman SSS par lui publié en 1982, p.9-13. Surtout p.13 : « Quoi qu’il en soit, on sait que Maritain a mis en question certains détails concernant les épreuves de Donissan ainsi que sa rencontre avec le maquignon-diable. » Et aussi on peut le voir dans les lettres de l’auteur lui-même ; Correspondance I. Surtout voir lettres de Bernanos à Maritain du 17 et du 28 fev. 1926, Correspondance I, p.210-213, 218-219.
Bernanos tel qu’il était, 1964, p.79-84
M. Estève, EB n°20, 1991, p.97