2.2.3. Les éléments repérés du découpage

A. Les programmes narratifs

Dans le cadre du 2ème essai de découpage, nous pouvons établir plusieurs programmes (brièvement rappelé ci-dessus). En effet, on peut les regrouper dans les deux genres de programmes narratifs dans ce passage : programme raté, programme réussi.

i) Le programme raté  : ce passage peut être englobé dans le programme de l’« envoi » (qui est la phase de la performance dans le PN II) que l’on peut décrire ainsi :

PN (envoi) :

- Manipulation : Donissan, envoyé par le curé de Campagne à Etaples

- Compétence : savoir faire (en route)

- Performance : arriver à l’église d’Etaples et accomplir la mission confiée

- Sanction : le retour

Ce programme de l’envoi est interrompu puisque Donissan s’égare, bien qu’il ait prétendu connaître la route. Pourtant cette simple considération d’échec du programme initial laisse le lecteur sur sa faim, elle est trop insuffisante pour donner un sens à ce passage dans SSS. Donissan, en s’égarant, fait des expériences extraordinaires (il rencontre un personnage qui se dit ‘Lucifer’, et également un personnage qu’il compare à ‘Saint Joseph’ : on peut dire qu’il est allé cette nuit-là de l’enfer au paradis), de plus, il sera considéré comme un ‘saint’ dans la suite de SSS. C’est-à-dire que malgré l’étape de l’égarement sur la route (performance ratée), le programme du doyen (PNII : vocation à la sainteté) se réalise... On dirait même que ce premier PN raté a aidé le vicaire à réussir son programme (on pourrait même dire que l’échec a été bénéfique à Donissan).

On peut aussi imaginer un programme plus large que ceux que construisent les personnages du roman, par exemple, PN IV (le programme de ‘Gloire’). (voir P1n) Mais pour construire ce dernier programme, le lecteur doit recourir (obligatoirement) aux parcours figuratifs que le texte déploie tout au long de SSS... Par exemple, on peut rapprocher le fait de ‘perdre son chemin’ de l’inaptitude de l’abbé Donissan à certaines tâches pratiques. Cet approche permet d’aborder l’échec autrement que comme un véritable échec. Donissan, dans son séjour à Campagne, est toujours à côté de ce qu’il faudrait faire, il ne sait pas où se placer. Il est toujours un peu dans un autre espace ; pourtant il réussit autant dans sa fonction de vicaire à Campagne que dans sa mission à Lumbres où il deviendra ‘un saint’ renommé, ‘un saint à miracles’, malgré lui. Cette observation rapide nous fait jeter un nouveau regard sur le passage en question. Le jour où Donissan est envoyé à l’église d’Etaples, il rate non seulement la mission qui lui a été confiée, mais il suscite aussi un scandale avec le suicide de la personne qu’il vient de rencontrer - scandale qui entraîne l’évêque à remettre en question ses aptitudes à exercer sa charge. Ainsi la rencontre avec Mouchette montre qu’une rencontre échappe toujours au programme conçu par les acteurs. Pour l’analyse d’une rencontre, il est donc préférable de recourir à l’analyse figurative bien qu’elle ne permette pas au lecteur de résoudre le mystère de la rencontre, elle lui fera au moins sentir qu’il y a mystère ...

ii) Le programme réussi  : Dans la séquence 5 (« Rencontre ténébreuse »), le moment où l’abbé se trouve devant un ‘abîme imaginaire’, est une étape importante pour sa transformation. Cette figure (abîme imaginaire) permet de découper en deux temps ‘sa rencontre avec le maquignon’ : le temps de la séduction, le temps du combat spirituel. Dans cette perspective, on peut construire deux programmes narratifs :

PN 1 séduction (PN du maquignon) :

PN (maquignon) : Donissan → Oj (amitié)

PN 2 combat contre Satan (PN de l’abbé Donissan) :

PN (Donissan) : Donissan → Oj (arracher le secret des démons)

Ces deux programmes réussissent, puisqu’à la fin du premier, Donissan obtient l’amitié du maquignon (qui l’appelle l’ami par 5 fois en l’étreignant, etc.), et au terme du deuxième, Donissan semble connaître les projets du démon qui le poursuivront jusqu’à sa mort, etc. Cependant, ces programmes sont suggérés par le maquignon-Lucifer qui est celui que l’abbé redoute le plus !?

L’observation des deux genres de programme (réussi, raté) nous introduit de plus en plus dans le paradoxe de la lecture de SSS. D’une part, le triomphe des programmes maquignon-Lucifer (de même que la suite tragique du suicide de Mouchette) n’empêche pas la réussite de l’acteur Donissan dans l’ensemble de SSS. D’autre part, les programmes qui nous semblent raisonnables vont tous être voués à l’échec. Ce type de paradoxe est à rapproché de celui-là même de l’acteur Donissan. On ne peut le faire que dans une analyse figurative. En effet, l’égarement (dans ce texte) ou le ratage (de programmes) sont précisément des lieux importants pour le passage de l’analyse narrative à l’analyse figurative.