En A’0, Donissan renonce au but initial d’atteindre l’église d’Etaples, lui tournant le dos, il veut retourner (vf) à Campagne le plus vite possible : Donissan → Oj (Campagne)
Ce temps est caractérisé par cinq indications de lieu où l’abbé prend un premier contact avec un homme (le maquignon) ; nous verrons que la marche ensemble le détourne tout à fait de son objectif, et qu’à la fin l’abbé désire tout à fait autre chose.
En A’1, l’indication de lieu, « Après un dernier fossé franchi », justifie le découpage : l’abbé vient de rencontrer un petit homme, fort vif, qui marche à ses côtés sans une parole. Cette présence provoque d’abord en lui un besoin d’accompagnateur. Ensuite après un court échange de paroles, l’abbé se souvient d’un autre manque qui le fait souffrir : « il n’a pas d’ami. » L’apparition du maquignon révèle (crée) donc en l’abbé deux manques.
Le premier manque est comblé en A’2 : après avoir passé « une clôture invisible » (2 ème marque de lieu) l’homme dégage un passage pour l’abbé, puis propose de le guider.
En A’3, après la troisième marque de lieu : « une haie épaisse », l’homme dégage encore le passage devant l’abbé, et se vante de pouvoir lui servir de guide. Donc, pour ce passage, l’homme agit (un acte), et il le remarque (une parole). Ce passage est lié aussi à une transformation intérieure de l’abbé : une terreur pénètre son coeur, et il se sent devenir de plus en plus dépendant de cet inconnu. Ainsi l’homme gagne la confiance quasi-totale de l’abbé 540 , désormais il ne lui sera plus nécessaire de faire des gestes, mais sur ses simples paroles, l’abbé débordera de reconnaissance envers lui 541 . La 4 ème marque de lieu est seulement indiquée par les paroles de l’homme : « Appuyez franchement sur la droite : il y a près d’ici un fond plein d’eau. » 542 , cette prévenance émeut l’abbé, et naît en lui alors la modalité de vouloir : ‘vouloir parler, vouloir se confier’ (vf). Il voit en l’homme un ami possible. Cependant levant les yeux, l’abbé rencontre son regard étonné :
En A’4, l’homme indique la route de Chalindry (5 ème marque du lieu) et, annonçant leur prochaine séparation, il l’invite d’une voix hésitante chez lui. Cela surprend l’abbé : « Mais l’invitation est formulée du bout des lèvres. Et l’hésitation de la voix jusqu’alors claire et si franche surprend l’abbé Donissan » 543 . Elle éveille en lui son deuxième manque (ne pas avoir d’ami), et il fond en larmes.
Ainsi, la partie A’ en séquence 5 est dominée par des figures d’espace. Chaque fois qu’il y a un passage, l’espace intérieur de l’abbé est creusé par ses manques, et à la fin de la marche, il ressent un fort besoin d’ami. On a observé aussi que l’homme se sert des indications de lieu pour gagner la confiance de l’abbé. On peut schématiser la transformation de l’abbé par les cinq indications de lieu :
Deux remarques sont à faire : lorsque Donissan se souvient qu’il n’a pas d’ami, c’est la parole amicale de l’homme rencontré qui fait surgir ce manque en lui : « Qu’une parole humaine peut être agréable à entendre ainsi, à l’improviste, et qu’elle est douce ! L’abbé Donissan se souvient qu’il n’a pas d’ami » 544 . A la 3ème indication de lieu, si Donissan éprouve le besoin d’un appui, c’est qu’une terreur (à la suite de son égarement dans le trajet vers l’église d’Etaples) a pénétré son coeur 545 .
L’enchaînement montre la transformation de Donissan au cours d’événements inattendus : il éprouve d’abord une terreur lorsqu’il s’égare, ensuite il rencontre un homme secourable. Donissan qui, au départ (A2), n’éprouve aucun besoin d’appui et n’a rien à dire de lui 546 , éprouve au moment de la séparation, le besoin d’un appui, un besoin de parler, de se confier, et un fort besoin d’ami... C’est au moment où l’homme propose de s’arrêter que, pour la première fois, le texte appelle l’homme ‘le maquignon’, et Donissan ‘son compagnon’. En B’, l’abbé deviendra tout à fait dépendant du maquignon.
p.124 : « ‘Constatez vous-même’, fit-il, ‘je n’ai pas besoin d’y voir. Un autre que moi, par une nuit pareille, tournerait en rond jusqu’au matin. Mais ce pays-ci m’est connu.’
Il faut remarquer ici que ce petit homme a fait passer l’abbé par une large brèche. B.T. Fiche remarque ce passage par la brèche pour l’oeuvre spécifique du diable, dans son livre, Dimension et Structures chez Bernanos, p.115 et p.117. En effet, la figure ‘brèche’ apparaît dans d’autres passages du roman : p.92 « il entre dans les âmes comme par la brèche. » Ici le narrateur décrit le fait que les coeurs de villageoirs s’ouvrent devant l’abbé Donissan ; p.196 « Par la brèche ouverte, l’orgueil rentre à flots dans son coeur... », c’est ce qui se passe dans le coeur du saint de Lumbres ; p.259 « ‘si quelque événement libérateur doit faire brèche un jour dans le mécanisme universel ?’ » Cette fois c’est le discours de Saint Marin parlant du miracle comme de l’événement libérateur devant Sabiroux et le docteur Gambillet.
p.125
p.126
p.123
p.124
p.113 « (...) puis un autre travail a tellement endurci son coeur (...) littéralement, il n’éprouve le besoin d’aucun appui. (...) il dupe de sa force, comme un autre de sa faiblesse ; il ne croit rien entreprendre que de commun, d’ordinaire. Il n’a rien à dire de lui. »