b) Un mot sur l’égarement de Donissan

Avant de rencontrer le maquignon, Donissan s’égare sur la route. Nous désignons cette erreur de route par ‘l’égarement’. L’importance de cette figure n’est pas la moindre. Car l’égarement est une figure à rapprocher d’autres séquences : le fait de se tromper de chemin fait ressortir la maladresse, l’inadaptation, la non-compétence qui sont propres à l’abbé Donissan.

i) Dégradation de la passion (de la simple surprise à la fuite terrifiée face à un espace bloqué) : Donissan tourne en rond dans un même lieu. Il qualifie son 1er retour de simple accident : « Quel contretemps » (p.120). Il reprend de suite la marche et, au 2ème retour, il ressent « la déception même la crainte » (p.121) ; après avoir maintes fois essayé de sortir de ce cercle, « un découragement absurde et un désespoir presque enfantin » (p.122) s’emparent de lui. Au dernier essai, il ressent « la terreur », s’écroule et glisse dans la boue 567 .

ii) Cercle infernal : L’égarement de Donissan peut être comparé à une lutte contre un cercle l’enfermant dans un espace. Ce cercle ne mène nulle part mais provoque la transformation du dispositif intérieur de l’abbé : le désespoir, la terreur, le vide se succèdent en lui. Ces éléments qu’il rencontre dans cet espace fermé reviendront pendant la rencontre ténébreuse, et le dernier élément ‘le vide’ à la fin de cette rencontre avec le maquignon y fait paradoxalement écho: « Et il ne rencontra que le vide et l’ombre » 568 .

Donissan a-t-il réellement rencontré un homme sur le chemin de son retour à Campagne après s’être égaré et s’être enfermé dans un espace réduit ? Le texte présente un maquignon qu’il rencontre bel et bien sur le chemin de son retour. Cependant ne pourrait-on pas dire que l’abbé a rencontré à travers ces deux expériences sa propre passion, sa propre image, sa propre impasse intérieure, l’abîme ou l’enfer ?

Cet égarement est souvent comparé par les critiques littéraires à l’enfermement dans un cercle 569 , ‘symbole par excellence du repliement sur soi’, et ils affirment qu’on ne peut pas y échapper seul. L’abbé Donissan sortira de ce cercle avec l’aide d’un ami idéal : le carrier. Mouchette sortira de ce cercle avec l’aide de Donissan, mais quelle sortie ! ... elle se suicide avant de revenir (d’être portée) au pied de l’église...

L’expérience de la nuit d’Etaples permet à Donissan d’être un instrument de salut, les critiques littéraires n’hésitent pas à l’affirmer. Donissan a été préparé pendant cette nuit-là à rejoindre Mouchette qui gît « dans l’ombre de la mort » ; il fallait pour aider Mouchette qu’il descende au plus bas et fasse l’expérience de l’enfermement-même qui était celui de Mouchette 570 .

Notes
567.

B. Vernières, EB n°20, p.54, ce phénomène est appelé ‘le cercle infernal’. Il dit que ‘infernal’ est un mot juste. Suivons son idée : « car l’expérience de Donissan vérifie cette remarque d’Edmond Jabés : « Dans ‘enfermer’, dans ‘enfermement’, il y a le mot ‘enfer’ », l’enfer étant d’abord un monde clos sur lui-même où le désespoir naît de l’impossibilité d’en sortir, représentée dans le roman par cette muraille molle et froide, que ses mains pressent : « Vingt fois il tenta de rompre le cercle, vainement » (p.122). La boue est un symbole de confusion, donc c’est le lieu où Satan veut introduire l’humanité. En plus si on ne peut pas y échapper, c’est la description de l’aspect de l’enfer, à cause de la chute de Satan. »

568.

p.139

569.

Br.T. Fitch, 1969, p.112 : « le cercle est le symbole, par excellence, du repliement sur soi. » ; d’ailleurs nous avons vu au début de cette analyse que le cercle est conçu comme une structure du Mal.

570.

B. Vernières, EB n°20, p. 55