c) un mot sur ‘Ami’ (quelle amitié) :

Nous avons observé que le vocable ‘ami’ est particulièrement fréquent dans le passage où le maquignon révèle qu’il est ‘Lucifer’. Cela éclaire un peu sur le mot ‘ami’ que SSS introduit dans les divers parcours. Le mot ‘ami’ est important dans ce roman. En plus de Donissan qui se souvient qu’il n’a pas d’ami en écoutant la 1ère parole du maquignon, Mouchette n’a pas d’ami avec qui partager sa souffrance et cela la mène finalement au suicide. Saint-Marin vient chercher un saint à miracle à Lumbres parce qu’il n’a pas d’ami pour partager l’angoisse de la mort qui s’empare de lui, en fait il veut partager sa souffrance avec le saint qu’il cherche ... Par ailleurs, le carrier est présenté pour l’abbé comme un ami idéal. L’observation du parcours de l’‘ami’ dans la rencontre ténébreuse illustrera un des parcours de cette figure. (Et il ne faut pas oublier que Bernanos avait une attention particulière pour les jeunes de son temps sans repère).

Lors de leur arrêt sur le chemin dû à la fatigue de l’abbé, le maquignon lui dit qu’il est Lucifer, en l’appelant 5 fois du nom d’« ami ». C’est un ami bien extraordinaire. Premièrement, un ami laisse son ami s’égarer sur la route tout en le suivant longtemps, en même temps qu’il l’appelle ‘ami’ et il dit : « Que vous êtes las ! Il y a longtemps que je vous suis, que je vous vois faire, l’ami ! J’étais sur la route, derrière vous, quand vous la cherchiez à quatre pattes » 571 . Deuxièmement, bien que son appui paraisse solide, sa réalité n’équivaut à rien, puisque l’abbé, sentant un vertige, plus il s’appuie sur les épaules du maquignon (apparemment solides), plus il glisse dans une chute oblique. Troisièmement, c’est une relation (action) perverse, car en l’appelant ‘ami’, il fait un geste quasi-sexuel envers l’abbé : « la bouche immonde pressa la sienne et lui vola son souffle, la perfection de sa terreur fut telle que le mouvement même de la vie s’en trouva suspendu (...) » 572 L’abbé a cherché un ami en la personne du maquignon mais il a trouvé celui qui le mène à sa perte.

Nous verrons dans l’analyse suivante (III.2.3), comment le carrier est présenté comme l’ami, un ami idéal.

Notes
571.

p.128

572.

p.129