Elle a lieu le jour où Donissan se perd sur la route d’Etaples. Dans cette nuit, il rencontre trois personnages : le maquignon, le carrier, et une jeune fille (Mouchette). Du côté de l’énonciation, le ‘point de vue’ se diversifie d’une rencontre à l’autre 578 . Dans la rencontre avec le carrier, le point de vue de Donissan alterne avec celui du narrateur, et celui du carrier est peu développé, bien qu’il soit présenté avec une clarté étonnante. Du côté de l’énoncé, il y a un double jeu de regards : le carrier a les yeux pleins de pitié, tandis que la vue de Donissan s’arrête à la fois sur le réel et sur la vision. On peut observer aussi deux transformations. D’une part, ‘les yeux pleins de pitié’ du carrier transforment l’abbé inerte en un abbé en pleine forme au ‘regard tout d’amour’. D’autre part, la vision de l’âme du carrier transforme un obsédé en un vrai missionnaire. Nous y reviendrons dans l’analyse narrative.
En résumé, cette rencontre est une histoire qui présente Jean-Marie Boulainville, le carrier, trouvant sur son chemin l’abbé Donissan épuisé et ayant perdu connaissance. Au moyen de la marche, il remet l’abbé en pleine forme et le rend capable de continuer son chemin. En cours de route, l’abbé a une vision de l’âme du carrier qu’il sublime en le comparant à saint Joseph. Dans cette rencontre, la diversité des noms qui sont attribués à Donissan et au carrier 579 nous étonne, si on considère la longueur de ce passage, relativement court (6 pages) par rapport à d’autres passages. D’ailleurs tous les noms donnés à l’abbé Donissan dans SSS s’y retrouvent.
Dans la structure de André Not, cette rencontre se place au centre de SSS, ce qui suggère déjà son importance. De plus, les expressions de cette rencontre sont porteuses de luminosité et de joie qui nous rappelle « la rencontre de rêve de Mouchette ». Cependant la scène du carrier commence à peu près une heure et quart avant que le coq ne chante, donc il n’y a réellement aucune lumière du jour (ce qui la différencie de celle de Mouchette qui est éclairée par le soleil levant). En effet, la scène du carrier est éclairée d’abord par la lumière d’une lanterne qu’il porte, ensuite l’abbé semble traverser « une lumière douce et amie, une poussière dorée. » C’est aussi l’unique passage où Donissan sans crainte est emporté par la joie, et par la reconnaîssance.
Après un regard rapide jeté sur le personnage du carrier par les critiques littéraires, l’analyse de cette rencontre sera menée en trois temps : le découpage qui permettra d’extraire les scènes figuratives ; une construction de l’analyse narrative et ses problématiques ; et en un troisième temps, l’observation des figures suivant les scènes figuratives.
voir IV.1.1.3 « la position du narrateur »
Les diverses désignations pour les deux acteurs dans ce texte :
Donissan : l’abbé Donissan(6), pauvre prêtre accablé, Monsieur l’abbé (dans la parole de J.M. Boulainville), le futur saint de Lumbres(2), le saint de Lumbres (1), Le vicaire de Campagne(3), le jeune prêtre, ce pauvre tourmenté, ce prêtre. Jean-Marie Boulainville : un inconnu, l’homme, cet homme, carrier à Saint-Pré, le frère de Germaine Duflos de Campagne, mon ami (dans la parole de Donissan), l’autre, son compagnon, ce juste, cet ami de Dieu, ce pauvre entre des pauvres, l’image d’un autre artisan, l’humble compagnon.