3.2.2 Remarques préalables sur le découpage, et ses problèmes

A. Transformation des acteurs

Les deux acteurs de cette rencontre sont l’abbé Donissan et le carrier.

i) L’acteur l’abbé Donissan  : Au début, l’abbé ne se sent capable d’aucun mouvement. S’il est vivant, il ne l’est que par son ouïe. Lorsqu’il sort de son coma, l’intérêt de l’abbé Donissan se porte sur le seul « gars de Marelles » dont parle le carrier. Il ne s’intéresse pas du tout alors au carrier. Par contre, dans la scène d’adieux, il ne pense qu’au carrier, et il songe à plusieurs programmes : le revoir, vouloir le bénir. Il porte son regard sur lui, un regard chargé de tout l’amour que l’abbé dispensera plus tard. Pourtant, il n’ose réaliser aucune des idées qui le préoccupent. Il souhaite une nouvelle rencontre avec le carrier, mais il le confie à un Tiers : « Un instant, il médita de le revoir, mais il lui parut aussitôt préférable de s’en rapporter, pour une nouvelle rencontre, à la même volonté qui avait préparé la première. »

La transformation de l’abbé Donissan s’est donc réalisée donc à deux niveaux : le physique et la relation. Son immobilité et sa perte de connaissance au début de la rencontre vont disparaître. De la fixation de son esprit sur un seul personnage, ‘un gars de Marelles’ il va être libéré, et au moment de la séparation, il se sent détaché de tout, il se sent capable d’exercer la fonction de son ministère, et même à ce moment-là, son esprit peut porter sur le passé (l’origine), sur le présent, et sur le futur (une nouvelle rencontre). Que s’est-il passé pendant la marche, pour que cette transformation soit aussi complète chez Donissan ? Nous y reviendrons lors de l’analyse figurative de la séquence 2 : ‘la marche’.

ii) L’acteur Jean-Marie Boulainville  : Le lecteur connaît d’abord son existence dans le texte, à travers les bienfaits que l’abbé sent à travers son corps : « il (l’abbé) se sentit soulevé, retenu par un bras replié dont la forte étreinte était douloureuse à son épaule. ... » Ce même personnage est appelé par ‘un inconnu’, ou ‘cet homme’, au moment où l’abbé se réveille. Ensuite, lui-même se présente à l’abbé, il lui fait connaître son nom, son métier et ses liens de parenté. En précisant son statut professionnel, il situe l’abbé sur un même plan socio-professionnel : « je vous connais bien. » Il sera désigné aussi par son métier, « le carrier », lorsqu’ils se mettent en position de marche : « Tel quel, il devint bientôt impossible d’y marcher de front. Le carrier prit les devants », puis c’est un nom amical qui lui est donné : « son compagnon ». Mais après la vision, ses désignations se multiplient dans la pensée de l’abbé Donissan, et il le sublime en le comparant à un personnage biblique : saint Joseph. Le narrateur l’appelle à la fin du texte « l’humble compagnon ».

Ainsi l’image du carrier change selon le changement de point de vue de Donissan, que nous observons au niveau de l’énoncé du roman. Quant au niveau d’énonciation de SSS, cette observation du carrier nous aide à porter un jugement sur son rôle dans SSS : ‘ne s’agirait-il pas de montrer un ‘exemplum’ de vie spiriturelle à l’abbé ?’ Cette suggestion se fonde sur deux indices : d’une part, son rôle de ‘guide’ pour la marche, d’autre part, le fait de la contagion de son regard, car au début le narrateur dit que ses yeux sont pleins de pitié, et à la fin c’est l’abbé qui a un regard plein d’amour...