3.2.4 Récapitulation des problématiques

Les découpages et les programmes narratifs nous conduisent à plusieurs hypothèses au sujet de cette rencontre. Résumons les :

i) Temporalité chez Donissan  : figure de ‘l’Origine’. A la fin de la marche, l’abbé forme le souhait d’une nouvelle rencontre avec le carrier, et il devient un homme de confiance. Il met toute sa confiance dans la volonté d’un Autre : pour le passé, le présent, le futur. Mettant toute sa confiance en cet Autre, il n’a aucune envie de savoir, sa curiosité disparaît, il devient un vrai croyant. Or la vision-reflet que le maquignon avait reproduite devant l’abbé, avait ces trois dimensions : passé, présent, futur ... Et après cette vision-reflet, l’abbé avait senti le vertige d’une curiosité surnaturelle ! Est-ce que ces deux visions ont chacune un lien avec la modalité  de savoir et de croire ?

ii) Spatialité du carrier  : pendant la marche, le carrier se place devant Donissan, et sans un mot, sans arrêt il marche jusqu’au but qu’il s’est donné. Pourtant son influence sur l’abbé n’est pas amoindrie, qui en reçoit même des leçons. Son rôle dans SSS serait-il de donner à l’abbé ‘un ‘exemplum’ de vie spiriturelle’, puisqu’il assure auprès de lui le rôle de ‘guide’ (voire de guide spirituel ?), et porte sur lui un regard plein de pitié ... De même le regard de l’abbé sera transformé et de ce point de vue, nous pouvons considérer cette marche comme une montée spiriturelle (pour l’abbé).

iii) Communication et signification (-interprétation) : Les trois rappels des paroles du maquignon entraînent chez Donissan une parole bloquée. Après le troisième rappel qu’il l’interprète faussement, il constate face à la problématique du langage... que toute parole lui paraît indigne devant cette vision magnifique ! Est-ce que le but du maquignon est ce blocage-là ? Si c’est ainsi, la communication non-réalisée entre deux amis (le carrier et l’abbé) aurait-elle une signification pour le parcours de l’abbé Donissan ?

iv) Savoir-vérifier (système binaire : voir/vérifier) ou croire (système ternaire : ne pas voir – entendre/croire) : Ce que l’abbé a vécu avec le carrier, est une vision euphorique qui lui enlève toute la curiosité que le maquignon lui avait suggérée par la vision-reflet, et qui le transforme en un être confiant et croyant. Pourtant la vision euphorique devient dysphorique lorsque l’abbé la décourvre en levant les yeux. Cela nous montre l’importance du voir chez l’abbé. Que ce soit une vision du démon, ou une vision de l’ange, si l’abbé le voit de ses propres yeux, elles deviennent un objet de savoir, et entre dans le système binaire : voir/vérifier. Dans ce système, il n’y a pas de place vide pour le sujet. C’est un savoir scientifique. Par contre, si l’abbé s’abstient de voir, il entre dans un système ternaire où l’écoute est mise en vedette : ne pas voir – écoute – croire... Le fait de ne pas voir crée une place vide (l’espace de confiance) pour le sujet, puisqu’on ne peut pas vérifier de ses propres yeux ce qu’on entend, on est obligé de mettre sa confiance en la parole d’autrui ...

v) La rencontre est le lieu où un sujet est à naître  : Naissance d’un homme nouveau. Ainsi la scène du carrier illustre ce qu’est une vraie Rencontre en transformant l’abbé curieux en abbé croyant. Une Rencontre (‘R’ en majuscule) permet à un sujet de se dérober à l’emprise d’un savoir tout puissant, mais en le privant de tout savoir, elle dégage une place vide pour un sujet confiant et croyant. Bien que l’abbé devienne capable de porter un ‘regard d’amour’ sur autrui, le regard même de Dieu, celui de son Créateur, il lui reste une problématique du langage jusqu’à la fin de cette rencontre ...

Quelle est cette parole qui devait être dite, et que l’abbé a vainement cherchée ? D’où vient ce devoir parler ? C’est encore dans une comparaison avec la vision double que nous pouvons voir clairement l’importance d’un échange de la parole (dimension symbolique) dans une rencontre.