2.2.2 « Cinq ans plus tard ... »

La lettre est suivie d’un dernier paragraphe attribué au narrateur, et termine la première partie du roman, « La tentation du désespoir ». En donnant la marque du temps, « cinq ans plus tard », le narrateur ouvre au lecteur un nouvel espace, ‘au hameau de Lumbres’ où l’ancien vicaire de Campagne exerce un autre apostolat et obtient un très grand succès : « Ses oeuvres y sont connues de tous. La gloire, auprès de laquelle toute gloire humaine pâlit ... ». Il est même appelé le ‘nouveau curé d’Ars’.

« Cinq ans plus tard », cette précision de temps marque pour le lecteur une distance importante entre deux événements : le scandale, et le renom. « En effet » est la marque de la présence d’un énonciateur, qui renforce la vérité de son énoncé. La nomination de Donissan dans un nouvel espace est conforme à ce que l’évêque avait prévu à la fin de sa lettre, « en rapport avec sa capacité ». « Petit » et « au hameau de » montrent la dimension diminutive de cette paroisse. Dans ce nouveau temps et dans ce nouvel espace, l’ancien vicaire déploie une performance extraordinaire. Mais il n’y a rien dans ce texte qui décrive ce qu’il fait, sinon la mention du renom : « ses oeuvres sont connues de tous », et ses oeuvres sont liées à « la gloire ». Cette gloire ne peut être comparée à aucune « gloire humaine », puisque celle-ci pâlit devant celle-là. Cette gloire singulière est active, et se déplace comme un acteur. Elle va chercher dans un espace déterminé (« dans ce lieu désert ») ‘l’ancien vicaire de Campagne’ d’abord nommé ‘curé’ dans une petite paroisse, et fait de lui « le nouveau curé d’Ars ». L’abbé Donissan se différencie pourtant du personnage du ‘curé d’Ars’ par sa nouveauté 754 . Ses oeuvres et sa gloire trouvent leur signification dans cette figure de ‘nouveauté’.

Cette gloire est supérieure à toute gloire humaine. Cette opposition : « singulier vs tout », se retrouve dans la lettre de l’évêque. D’après celle-ci, le « bon ordre » que l’évêque a apporté au temps et au lieu du scandale, contente « tout le monde », sauf le doyen de Campagne qui se singularise par son silence. Le ‘tout’ (sème commun de deux figures) rapproche : ‘toute gloire humaine’ (qui se trouve dans le discours du narrateur) du « bon ordre » de l’évêque (qui se trouve dans la lettre et obtient le consentement de tous). Cette juxtaposition sémantique de deux figures permet de supposer : puisque ‘toute gloire humaine’ ne peut pas être comparée à une seule gloire qui couronne le curé, les valeurs représentées par l’évêque (toutes les valeurs humaines) ne sont pas comparables à la valeur pour laquelle le doyen tient dans le silence. De plus, cette gloire est renforcée par « des documents authentiques et des témoignages que personne n’oserait récuser ». Le narrateur annonce ainsi la dernière partie du roman comme la preuve de ce témoignage. Ces multiples témoignages que le narrateur annonce dans la suite du roman, s’opposent aux témoignages qu’on trouve dans la lettre de l’évêque : le témoignage apprécié par l’évêque (celui du docteur Jolibois concernant l’abbé Donissan) ; les témoignages rejetés par l’évêque (celui de Mouchette) ; le témoignage refusé à l’évêque (celui du doyen de Campagne).

En effet, le narrateur donne trois éléments : sa nomination de curé, ses oeuvres, la ‘Gloire’. Narrativement, ces éléments équivalent à un programme : le contrat (la nomination), le sujet réalisé (ses oeuvres), et le sujet glorifié (le renom). Rappelons qu’à la fin de la lettre, l’évêque estime la capacité du vicaire insuffisante pour une ministère. Pourtant il y a une grande différence entre le résultat prévu au temps de la lettre et le résultat réalisé à Lumbres. Cette différence permet de mettre en doute le système d’évaluation de l’évêque dans sa lettre. Qu’est-ce qui le pousse à dire ou sur quelle valeur s’appuie-t-il pour attribuer à l’abbé Donissan une capacité insuffisante à exercer une ministère.

Avec tous ces éléments, entrons dans l’analyse de la lettre :

Notes
754.

ce fait s’oppose à la sanction de l’évêque qui a jugé l’acte de Donissan d’après son ancienneté. L’évêque dit dans sa lettre : « De tels exces sont d’un autre âge, et ne se qualifient point. »