2.3 Deux manques chez Saint-Marin

D’abord, il lui manque des modalités dans deux dimensions : (manque dans l’être et manque dans le faire)

Saint-Marin a un critère pour qualifier l’identité d’un ‘vrai saint’. Il ne lui est pas suffisant d’entendre parler du renom du saint de Lumbres. Il lui faut venir à Lumbres, vérifier et examiner de ses propres yeux pour l’identifier comme un ‘saint à miracles’. Pour lui, le miracle est une qualité (compétence) nécessaire pour être un ‘saint’. Sa démarche vers Lumbres sera décrite ainsi :

Ecouter le renom d’un saint (manipulation)

→ se déplacer, rencontrer et vérifier (Compétence)

→ s’approprier le saint pour s’en servir (Performance)

Saint-Marin, en investissant de la même valeur (échangeable) les deux figures, ‘l’angoisse’ et ‘la mort paisible’, et en les mettant dans un système d’échange, considère ‘l’angoisse’ comme un objet qui peut être échangé avec un autre objet, à condition d’avoir un savoir-faire (savoir manipuler ou effacer ‘l’angoisse’ qu’on ressent) que, croit-il, possède le vrai saint.

Dans le chapitre XV de SSS, Saint-Marin (selon son imagination) est au moment de la réalisation de son programme. En disant : « je tiens mon saint » 873 , il est tout prêt à acquérir son objet valeur.

En ouvrant la porte du confessionnal, il découvre de ses propres yeux un saint.

On peut dire qu’à ce moment-là, Saint-Marin a rencontré enfin son interlocuteur, car il rencontre quelqu’un qui échappe à tout son imaginaire. Il a rencontré en effet le réel d’autrui... Pour Saint-Marin, initialement, la fonction d’une ‘rencontre’ est d’être au service de son programme, pour pouvoir ensuite la manipuler. Pourtant la rencontre échappe à la prise de ce génie, de cet académicien et elle devient pour lui ‘anamorphose’ (selon l’expression de François Martin). Nous l’observerons dans l’analyse figurative.

En effet, sa rencontre avec « la face terrible » 874 lui révèle que l’hypothèse de son programme est fausse. Dans son programme, il suppose qu’il lui manque de la compétence (savoir-faire), et il cherche à s’approprier « le saint ». L’affrontement avec ‘la face terrible’ lui révèle que l’objet qu’il imagine et cherche à l’extérieur de lui, n’existe pas, mais qu’il possède en lui ce savoir-faire. Donc, s’il est venu à Lumbres pour compléter son manque de ‘savoir-faire’, la rencontre lui révèle qu’il avait déjà tout ce qu’il faut pour réaliser son but. Il lui manque par contre, la volonté (vouloir) d’entreprendre sérieusement son programme. C’est sa compétence ‘déjà là’ que révèle la rencontre surprenante avec ‘la face terrible’. Il a tout ce qu’il faut pour réussir son but ... non pas à la manière de ce qu’il a exercé toute sa vie (en tant qu’écrivain imaginaire ; selon son paraître), mais à la manière de ce qu’il est (selon son être)...

Ces observations nous conduisent à l’organisation sémantique (à l’aide de deux carrés : du standard et de la véridiction 875 ) du parcours de Saint-Marin, qui nous donnera une hypothèse qui sera ensuite vérifiée et corrigée par l’analyse figurative.

Notes
864.

p.263 « A l’idée de la chute inexorable, ce n’est pas sa raison qui cède au vertige, c’est la volonté qui fléchit, menace de se rompre. Ce raffiné connaît avec désespoir le soulèvement de l’instinct, l’odieuse panique, le recul et le hérissement de l’animal qui, à l’abattoir, vient flairer le mandrin du tueur. »

865.

p.255

866.

p.263

867.

p.255

868.

p.255 et 266. par exemple, « Qui jouit craint la mort. » dit à l’abbé Sabiroux

869.

cette interprétation de Saint-Marin sur sa ‘crainte’ sera corrigée par la rencontre avec ‘la face terrible’. Il ne lui manque pas le ‘savoir-faire’, mais ‘la crainte’ l’empêche le ‘pouvoir-executer’ son savoir immanent. En effet, il ne lui manque que le courage...

870.

plus tard, devant le confessional, face au visage terrifiant du saint, Saint-Marin retrouve son savoir immanent.

871.

p.254

872.

p.277-278 « Ce bonhomme de prêtre a fait moins sottement qui s’est retiré de la vie avant que la vie ne se retirât. Sa vieillesse est sans amertume. (...) Est-il trop tard pour l’imiter ? (...) jouir de la vieillesse comme de l’automne ou de crépuscule ; se rendre peu à peu la mort familière, n’est-ce pas un jeu difficile, mais rien qu’un jeu, pour l’auteur de beaucoup de livres, dispensateur d’illusion ? ‘Ce sera ma dernière oeuvre’, conclut l’éminent maître, (...) »

873.

p.281

874.

A. Béguin, 1954, p.49 (une citation de Grands Cimetières sous la lune) : « On ne saurait faire le compte de ses injustices, du moins les porte-t-il sur sa figure, elles s’y inscrivent ainsi que les cicatrices au torse du vieux gladiateur. Certes, quiconque a aimé le visage humain ne peut regarder sans frémir cette face terrible, dont l’énorme sensualité dévorerait jusqu’aux larmes et qui, à je ne sais quelle audience du procès La Roque, surgit tout à coup, barbouillée d’écarlate, ainsi le masque d’un acteur grec. Qu’importe ! Ce n’est pas là le visage d’un pharisien. Plus qu’aucun des nôtres au contraire, il est fait pour la sueur d’angoisse, pour cette autre espèce de larmes purificatrices, plus intimes et plus profondes, que virent couler, une nuit entre les nuits, les oliviers prophétiques. Certains êtres que rien n’assouvit ne sauraient trouver leur rafraîchissement dans l’eau vive promise à la Samanitaine. Il leur faut le fiel et le vinaigre de la Totale Agonie. » ; une lettre de Bernanos, écrit à un ami le 26 août 1919 : « Du Jardin au Calvaire, sache que notre Seigneur a connu et exprimé par avance toutes les agonies, même les plus humbles, les plus désolées. » ; Dans les Dialogues, « Il (Christ) a eu peur de la mort. Tant de martyrs n’ont pas eu peur de la mort... Les martyrs étaient soutenus par le Christ, mais le Christ n’avait l’aide de personne, car tout secours et toute miséricorde proviennent de Lui. Nul être vivant n’entra dans la mort aussi seul et aussi désarmé... »

875.

Je considérerai le carré standard comme le carré narratif + figuratif, et le carré de la véridiction comme le carré énonciatif.