C. La position du narrateur

L’observation des phénomènes d’énonciation peut être utilisée pour le découpage. Cette observation s’apparente aux description du ‘point de vue’ en narratologie 901 . On observe, dans le texte, les positions du narrateur par rapport au récit raconté. L’objectif de notre étude est plutôt de déterminer un corpus en vue d’analyser ensuite les figures du texte qui sont mises en discours. En observant donc les différents points de vue donnés dans le texte, peuvent être justifiés les différents genres de rencontre du point de vue de l’énonciation.

C’est l’analyse de trois rencontres de Donissan qui nous a conduit à cette proposition.

Quand le narrateur décrit le séjour de l’abbé dans la paroisse de Campagne, il indique les divers points de vue des acteurs sur l’abbé Donissan. Ensuite, la rencontre avec le maquignon est racontée entièrement du point de vue de Donissan, avec lequel le narrateur marque la plupart du temps son accord. Le lecteur ne peut connaître le maquignon qu’à travers un seul personnage, Donissan. Les paroles du maquignon sont chez l’abbé comme un écho de sa pensée et de ses sentiments, comme un reflet de lui-même. Cette impression augmente lorsque le maquignon présente à l’abbé une vision concernant l’âme de ce dernier sur les trois dimensions du temps : le présent, le futur, le passé. Ce n’est qu’à travers Donisssan que nous connaissons ainsi tout le déroulement de cette rencontre. La fin de leur rencontre illustre cette impression-illusion. Le corps du maquignon s’évanouit sous la seule poussée de l’abbé : « Mais, tout à coup, d’une poussée, le vicaire de Campagne se rua sur lui. Et il ne rencontra que le vide et l’ombre. » 902 On se pose la question de savoir si ce maquignon est un homme de chair. Tous ces éléments font de cette rencontre une rencontre-énigme.

Quant à la rencontre avec le carrier, le narrateur la raconte en alternant son propre point de vue et celui de Donissan. Au moment du dialogue, c’est le point de vue du carrier qui apparaît : il s’étonne, pend pitié de l’abbé, interprète à sa manière ses réactions singulières, etc. Le carrier est un personnage autonome, libre dans sa décision et dans ses actes, et tout à fait différent de l’abbé. Pendant la marche, l’abbé reconnaît en lui un véritable ami et voit l’âme du carrier en transparence. Cependant la vraie communication ne s’établit pas entre eux. Ce manque du dialogue et l’expérience de cette vision font de cette rencontre une rencontre-mystère pour l’abbé. A la fin, l’abbé remis en forme est devenu un homme debout, face au carrier qui est un homme libre, capable de porter un regard d’Amour envers (sur) les autres. Se serrant la main, ils se séparent 903 .

Dans la rencontre avec Mouchette, le narrateur raconte les faits en opposant davantage les points de vue des deux personnages. Cette manière de raconter permet au lecteur d’observer trois points de vue à la fois : celui de Donissan, celui de Mouchette, et aussi celui du narrateur. Ainsi le lecteur qui n’est plus affronté au seul point de vue de Donissan, peut-il aborder le texte avec plus de liberté de jugement.

Résumons la diversification progressive des points de vue à travers trois rencontres :

La scène avec le maquignon : le point de vue de Donissan + celui du narrateur qui le raconte + l’absence du point de vue du maquignon

La scène avec le carrier : le point de vue de Donissan + celui du carrier (peu) + celui du narrateur

La rencontre avec Mouchette : les trois points de vue sont répartis presque à égalité

Ces observations nous permettent de justifier (constater) comment les points de vue dans le texte peuvent offrir au lecteur une réception particulière de chacune des trois rencontres.

Notes
901.

G. Genette, Figures III, 1973 ; D. Bertrand, 2000, ch.4.

902.

p.139

903.

p.145 « Ils se serrèrent la main, à tâtons. »