Cette deuxième étape se trouve au coeur de l’analyse d’un texte choisi. Dans notre troisième partie, nous avons longuement insisté sur cette étape.
La deuxième partie de ce travail a été consacrée à une approche sémiotique de la ‘figure’. Nous nous sommes arrêtée sur diverses disciplines : rhétorique, sémiotique, biblique. A la fin de cette étude, nous avons défini la ‘figure’ telle qu’elle est abordée dans le présent travail. La figure d’acteur a une triple dimension : un rôle actantiel (narratif), un rôle thématique (discursif) et un aspect figural. Chaque élément figuratif (acteur, temps, espace) possède cette triple dimension : on distinguera le temps narratif, le temps thématique, le temps figural, ou bien l’espace narratif, l’espace thématique, l’espace figural. Nous rapprochons ces distinction de celle que propose François Martin 906 : la structure narrative, la métamorphose, l’anamorphose :
1) Le rôle actantiel (narratif) appartient au domaine de l’analyse narrative par laquelle nous pouvons aisément repérer le sujet et l’objet valeur, et leur relation dans les quatre phrases de la grammaire narrative.
2) Le rôle thématique appartient au domaine discursif et peut être associé aux trois éléments figuratifs. L’acteur, par sa vocation discursive, manifeste un rôle thématique. Les autres éléments figuratifs, temps et espace, peuvent également avoir un rôle thématique. Le rôle thématique se présente à la manière d’un signifié correspondant dans le texte au signifiant que serait la grandeur figurative. Par exemple, ‘le chemin creux’ (figure d’attente) ou ‘l’horizon’ (figure de l’espoir) dans la rencontre de rêve de Mouchette (p.20).
Cette étape est équivalente à la ‘métamorphose’ où les trois éléments figuratifs reçoivent des valeurs thématiques. Les analyses concrètes montrent que cette étape est particulièrement liée à la perception du ‘voir’, pouvant créer une illusion thématique chez les acteurs. Par exemple, Mouchette, un matin de juin allant vers les six vaches, voit apparaître le marquis à la lisière du bois (p.20). Cette vision s’est figée (fixée) à jamais dans son souvenir en mettant au centre son héros, comme un roi.
3) L’aspect figural équivaut au temps de l’anamorphose dont parle François Martin. C’est le temps où l’acteur est privé de la vision-illusion, de l’interprétation des figures qu’il a thématisées, et où il est invité à l’écoute. Cet aspect figural est le lieu dans lequel les trois éléments figuratifs (acteur, temps, espace) se déforment tous à la fois, et l’effet créé à partir de ce lieu produit un nouvel éclairage, rendant possible une nouvelle lecture.
Cette troisième dimension, ‘l’aspect figural’, s’observe à partir des deux premières : narrative et thématique (discursif), c’est-à-dire à partir de tout ce qui crée l’écart par rapport à une structure construite.
Cependant, si une figure se construit toujours à partir de l’un des trois éléments figuratifs que sont les acteurs, temps et espaces, la dimension actorielle de la figure est souvent privilégié puisque, pendant la lecture, c’est la figure de l’acteur qui reflète exclusivement le lecteur dans la dimension spatio-temporelle de sa propre histoire. De plus, pour entreprendre l’analyse d’un roman entier comme SSS, il est plus facile de partir des figures d’acteurs. Mais il ne serait pas exclu de partir des autres figures que sont les figures d’espace ou de temps.
En privilégiant, pour notre part, les seules figures d’acteur, nous avons entrepris dans chaque analyse de mettre les figures de l’espace et du temps au service d’une figure d’acteur. Cependant au fur et à mesure qu’avançaient les analyses, la réalité analytique nous a surprise : il s’agit d’analyser non une figure mais des figures mises en discours ! Lorsqu’une figure d’acteur entre dans un parcours figuratif, il ne s’agit plus de l’observer toute seule mais d’entreprendre une analyse figurative dans un parcours (figuratif). S’agissant encore de figures (même si qu’elles sont mises en discours), on garde des outils pour les observer : le rôle actantiel (narratif), le rôle thématique (discursif) et l’aspect figural, et on élargit le champ de la méthode analytique pour une lecture sémiotique. C’est ainsi que nous avons entrepris une analyse par une méthode que nous appellerons ‘la figurativité’. Elle consiste à observer les transformations non au niveau des figures mais au niveau des structures.
Quand nous changeons le niveau d’analyse (au niveau des structures), l’aspect figural d’un texte reste toujours présent, puisque nos analyses portent sur les écarts qui proviennent de la déconstructuion des deux structures : narrative, discursive. C’est en passant de la déconstruction de la structure (construite dans un premier temps d’analyse avec l’outil sémiotique) au repositionnement d’un point de vue du sujet-lecteur (l’aspect figural) qu’on arrivera à la figurativité.
F. Martin, 1996, p. 162-178