3. Enoncé et énonciation

Dans tous les textes, on rencontre deux niveaux énonciatifs : l’énoncé et l’énonciation. Ils offrent au lecteur deux approches différentes du texte.

3.1 L’énoncé

Analyser l’énoncé c’est observer les transformations des acteurs. C’est ce que nous venons de faire tout au long de ce chapitre. Nous pouvons les récapituler avec les exemples pris dans SSS que nous avons analysés dans la troisième partie :

Il est important dans un texte de trouver la situation initiale du sujet dans sa relation avec l’objet et d’observer ses modalités (savoir, vouloir, pouvoir, devoir) par rapport à l’objet. Ou encore d’observer quelle relation le sujet a avec cet objet à partir de ses sens, la vue, l’écoute, le goût, l’odorat, le toucher ? ... et comment cette relation le transforme ?

Dans SSS, la plupart du temps, l’objet est perçu par la vue et par l’ouïe, ce qui déclenche la quête du sujet. Mais il y a une condition préalable à cette quête : la perception de l’objet doit rejoindre le désir le plus profond du sujet. D’où vient donc ce vouloir ou ce désir profond ?

SSS témoigne que ce désir (la modalité de vouloir) surgit à l’intérieur d’un acteur lorsqu’il rencontre une limite, un interdit, etc, qui lui rendent la vie impossible et insupportable, quand il constate sa propre mort (‘la mort’ dans toutes ses dimensions). Ce désir est finalement, un élan vers la Vie, vers une vie meilleure. Je dirais que ce désir équivaut à l’aspiration à un paradis, à un bonheur que tout le monde souhaite.

Après avoir repéré la situation initiale du sujet dans un récit, on construira des programmes narratifs permettant de découvrir plusieurs réseaux isotopiques et thématiques (sur le plan discursif). Ces programmes prévoient chacun leur sanction. L’observation de la situation finale permet de conclure à la réussite ou à l’échec du programme : par exemple, le curé de Lumbres est appelé chez Mme Havret qui espère un miracle. Ce programme de miracle se conclut par un échec puisque l’abbé n’arrive pas à ressusciter l’enfant mort. Ou bien au contraire, le programme du carrier réussit pleinement puisqu’il remet debout le vicaire de Campagne qui au départ était dans un état de quasi-mort.

Cependant dans SSS, la signification du texte ne se réduit pas à la réussite ou à l’échec d’un programme, souvent elle est ailleurs. Par exemple, le curé de Lumbres, bien qu’il ne ressuscite pas l’enfant, trouve dans cet échec un espoir, et comprend en quoi consiste sa fonction sacerdotale. Tandis que le carrier réussit son programme à la fin de la marche, l’abbé, l’ayant rencontré, expérimente quant à lui des choses extraordinaires que le carrier ignore totalement.

Cela prouve que le 1er programme où l’on voit échec ou réussite n’est pas le dernier mot dans l’analyse. Il faut donc analyser le récit dans toutes ses dimensions (c’est ici qu’intervient l’importance du découpage contextuel qui permet de donner au lecteur un regard plus large pour un texte choisi). Le 1er programme conçu peut être inclus dans un programme plus vaste, dont les données axiologiques et idéologiques sont différentes. Il y a aussi une question de véridiction (paraître/être), donc question de point de vue et de position énonciative d’autres que ce premier, etc.

Dès le départ de l’analyse, il faut repérer aussi la situation finale du sujet, et de la comparer avec son état initial. Cette simple observation esquisse déjà ‘le fil conducteur’ pour la suite de l’analyse. Il est important de le souligner. Car si on n’a pas ce fil d’Ariane, il est possible de se perdre dans la forêt (immense) des figures, ou de se noyer dans leur eau profonde. Dans une forêt, chaque arbre, chaque fleur, chaque route perdue dans les bois par-ci par-là sont un reflet de la beauté par excellence. Si nous regardons tout à la fois, nous aurons beaucoup de plaisir, mais nous ne sortirons jamais de cette forêt admirable. Il est bon de rester dans un texte jusqu’à s’y perdre indéfiniment. Cependant pour avancer dans l’analyse, il faut savoir renoncer à ces petits ou grands plaisirs. Il n’est pas interdit de revenir plusieurs fois sur un même texte, après avoir terminé l’analyse. Un texte est si riche que chaque fois que l’on y revient, on peut découvrir d’autres richesses.

En reprenant plusieurs fois un même texte, on découvre d’autres éléments qui conduisent à réajuster et à reconsidérer ce que nous avions précédement construit : le découpage, le dispositif d’acteurs, etc.