Lorsque l’abbé décide de repartir vers Campagne (A 914 ), le maquignon (S2) le rejoint sur sa route de retour. D’abord, il lui propose d’être son guide (B), cette proposition séduit et émeut le prêtre (S1) épuisé, égaré. Ensuite leur dialogue (B) fait espérer à ce dernier une relation d’amitié (vouloir-être avec). Au moment où l’abbé désire fortement cette relation avec le maquignon, celui-ci l’appelant 5 fois ‘l’ami’ 915 , lui fait connaître (C) sa véritable identité : « moi, Lucifer » 916 . Et il fait semblant de le quitter. Cette révélation fait disparaître ‘le vouloir-être avec’ chez l’abbé, mais quand il le voit s’éloigner, une curiosité ‘sans borne’ (vouloir-savoir) monte en lui. C’est à ce moment-là que le maquignon s’arrête et entre dans le temps de la tentation (D). La tentation porte sur trois savoirs successifs :
En effet, au cours des trois tentations, une curiosité s’éveille en l’abbé d’abord sur la personne du maquignon, puis elle est détournée, peu à peu, de sorte qu’à la fin l’abbé devient curieux d’une curiosité surnaturelle de l’oeuvre de Dieu en lui (E). A la fin, le maquignon s’évanouit sous une poussée du vicaire (F). Schématisons cette constatation :
Abréviation : S1 (Donissan) ; S1’ (vision ou image sur soi-même) ; S2 (le maquigon) ; O1 (ami) ; O2 (ennemi) ; vê (vouloir être) ; vf (vouloir faire) ; Opé (objet – parole énigmatique) ; O2 (amitié du maquignon) ; ?? (homme ou démon ?)
Dans ce schéma, s’il y a le lieu de l’énonciation, c’est une impression de rêve et de cauchemar. Pourquoi cet effet ? Si nous regardons de plus près, le temps de dialogue est particulièrement long par rapport au modèle. Et si l’abbé perd son objet-valeur initialement conçu, c’est pour orienter sa quête vers un autre objet qui se présente à lui : de l’amitié à la curiosité de connaître le secret de l’ennemi, à la connaissance de soi, à la connaissance de l’oeuvre de Dieu. A la fin, lorsque Donissan devient curieux de savoir et quand il est prêt de croire ce que le maquignon dit, ce dernier lui laisse une parole énigmatique. Après cette ultime parole, le maquignon s’évanouit devant l’abbé qui a l’impression d’avoir eu un cauchemar. Cependant les paroles du maquignon se sont gravées en lui et l’influenceront fortement lors de sa rencontre avec le carrier.
En effet, leur rencontre commence lorsque l’abbé vient de buter (sa propre impasse) sur le chemin qui ne mène nulle part. Lorsqu’il a rencontré le maquignon, sa présence lui a révélé ses manques : manque d’accompagnateur, manque d’ami. Il devient reconnaissant jusqu’à verser des larmes lorsque le maquignon se propose comme guide (B). Ainsi leur rencontre renforce le programme initial de l’abbé, au lieu de le faire disparaître. Pendant leur marche, la terreur s’empare de lui, le pousse à entreprendre un dialogue avec le maquignon et lui fait espérer son amitié. A ce moment là, le maquignon lui dit être Lucifer (C). En entendant cette parole, l’abbé devient lutteur contre cet ‘ennemi’ (=démon) en vue d’obtenir son secret pour ‘le salut des pécheurs’. Donc le maquignon se sert de ses paroles pour renforcer la modalité du vouloir-savoir chez l’abbé. D’être influencé par lui, l’abbé, au lieu d’être interpellé par la parole d’autrui et d’abandonner son programme initialement conçu, au contraire, devient de plus en plus volontariste au fur et à mesure que le dialogue avance. De plus, à la fin de cette rencontre, l’abbé croit aux paroles du maquignon tout en l’appelant ‘menteur’ ? En effet, le temps de la tentation n’a que le but d’augmenter la modalité du vouloir-savoir de l’abbé. A la fin, le maquignon disparaît après avoir laissé une parole énigmatique : ‘tu verras ...’ Cette rencontre n’est pas conforme au modèle mais elle a un effet car la parole du maquignon demeure. De plus à travers cette rencontre, Donissan est transformé : il porte désormais en lui une pitié, bien que sa 1ère expérience était fait par rapport au maquignon-Lucifer 917 voyant ses douleurs sans issue.
Le maquignon quitte l’abbé mais l’abbé reste profondément marqué par ses dernières paroles, de sorte que la vérification de cette parole énigmatique sera l’objet de sa quête (S →Opé) pendant sa prochaine rencontre dans une modalité de ‘vouloir-savoir’ 918 .
Les signes en gras : A, B, C, ..., sont à suivre dans le schéma IV.2.2.1.A .
p.128-130. Il faut remarquer dans ce passage que ce mot ‘ami’ est extrêmement fréquent par rapport à son emploi dans SSS.
p.130
p.134 « Sa voix était basse et tranquille, avec on ne sait quel frémissement de pitié. » ; voir aussi la conclusion de III.2.2 (la rencontre ténébreuse).
p.141 : « Et c’est alors que l’abbé Donissan connut le véritable sens d’une certaine parole entendue : ‘Un prochain avenir prouvera si j’ai menti ou non.’ »