B. Mouchette, lieu d’achoppement

Dans son parcours, Mouchette traverse 5 types de lieux :

  • i) Lieu religieux  : L’Eglise apparaît deux fois dans la vie de Mouchette, au début de son parcours et à la fin. L’Eglise est à la fois le lieu où elle est baptisée et reçoit son nom ‘Germaine’, et le lieu où elle rend son dernier soupir. Dans ces deux situations, l’Eglise est liée à un scandale à cause d’elle : la 1ère fois à cause du nom que le père Malorthy souhaite lui donner, ‘Lucrèce’ (la mère des Gracches, nom profane) ; la 2ème fois lorsque l’abbé Donisssan la transporte mourante au pied de l’église selon son ultime désir, malgré l’opposition de ses parents. Et par ce dernier désir satisfait par Donissan, l’Eglise devient un lieu de scandale autour duquel jaillissent les multipes interprétations. C’est un lieu d’achoppement pour tous (voir IV.3.2).
  • ii) Lieu privé, familial  : la maison Malorthy est pour Mouchette un lieu d’ennui et privé de joie, cependant il lui est vraiment difficile de couper le lien qui l’attache à cette maison ; elle attend un moment favorable pour s’évader. Sa présence dans ce lieu interpelle peu à peu ses parents qui perdent toute autorité sur elle et, à la fin, elle leur échappe tout à fait et mourra au pied de l’église.
  • iii) Lieux de ses amants  (le château de Cadignan, le cabinet du docteur Gallet) : lieu de la transformation phorique : euphorique → dysphorique
    Mouchette attribue un rôle à chacun des deux personnages, Cadignan et Gallet : l’un est son héros-roi, l’autre pourrait être son amant-protecteur. Elle rêve même d’une vie heureuse avec le marquis, dans la nuit du conflit quand elle se rend au château. Cependant le dialogue lui révèle la personnalité réelle de ces deux personnages : la lâcheté de Cadignan et la médiocrité de Gallet. Mouchette est tellement déçue que ces lieux initialement désirés et idéalisés deviennent des lieux de désespoir, de mort et de folie.
    Quant à ses amants, pendant leur dialogue avec Mouchette, ils sont confrontés à la parole (la force énonciative) de leur interlocutrice. Mais jusqu’à la fin, ils gardent leurs propres valeurs et résistent à l’appel pressant de Mouchette.
  • iv) Lieu public, scientifique  (hôpital) : Dans ce lieu, les médecins sont caractérisés par leur diagnostic ambigu. La seule opération que fassent les médecins (dans l’ensemble de SSS) est d’accueillir l’enfant déjà mort en Mouchette. Et les acteurs spécifiques de ce lieu (les médecins) multiplient les diagnostics psychique ou psychologique (par exemple, la guérison de Mouchette) mais leurs jugements du point de vue médical ne prouvent rien et ils demandent seulement la foi des patients et de leur entourage. En effet, que savent-ils ces médecins de l’état psychique de Mouchette ou de Donissan ? 928 L’écriture ironique du narrateur dans ce lieu scientifique donne au lecteur un effet de parole (par rapport à la vérité)...
  • v) sur le chemin : lieu de la rencontre, lieu du vrai dialogue
    C’est le seul lieu où Mouchette se sent libre et heureuse et où elle arrive à parler dans un vrai dialogue avec l’abbé Donissan. En effet, sur le chemin de Desvres où elle marche avec l’abbé, elle est transformée par la parole (par les objets mis en langage parlé) (voir III.3.1.5.2), et alors se sent vraiment libérée de toutes les valeurs socio-culturelles qui lui ont pesé si lourdement jusqu’ici.

Notes
928.

p.164 (le cas de Mouchette) « Jusqu’alors, même à l’hospice de Campagne, elle n’a pas douté de sa raison. Dès le premier instant de lucidité, elle écoutait discuter son cas avec une ironique curiosité. - Que savaient-ils, ces messieurs, de la terrible aventure ? – Presque rien, l’essentiel demeurant son secret. » ; SSS, p.187 (le cas de Donissan) « Le malheureux abbé Donissan a quitté cette semaine la maison de santé de Vaubecourt, où il a été traité avec le plus grand dévouement par le docteur Jolibois. (...) Il attribue ces trouble passagers à une grave intoxication des cellules nerveuses, probablement d’origine intestinale. »