C. Route circulaire, Route rectiligne

Bernard Vernières a consacré une étude magnifique sur deux genres de route à partir d’un passage de SSS 929 . Nous les considérons, pour notre part, dans le parcours de Mouchette, comme une transformation provoquée par la rencontre-événementielle (avec Donissan).

Chez Mouchette, il existe deux espaces. Le lieu où elle rêve ou imagine (chez Malorthy), le lieu où elle rencontre le réel dans autrui (le château, le docteur Gallet). Elle imagine chez elle un espace idéal (l’espace rêvé) avec un acteur idéal et, au moment favorable, elle quitte ce lieu et va vers le lieu idéalisé pour trouver le bonheur. Au cours d’un dialogue, elle découvre la réalité décevante de la personne qu’elle a idéalisée, et elle retourne chez elle (espace dysphorique). On peut dire qu’elle est enfermée dans un lieu circuit (cercle) où elle tourne en rond. Tout son effort pour y échapper est nul ; de plus, la personne rencontrée est celle qui refuse d’ouvrir ce cercle. Si bien que chaque fois qu’elle retourne chez elle, le cercle l’enferme davantage. Plus son désir s’intensifie, plus elle se sent enfermée. Lors de sa rencontre avec l’abbé Donissan, ce dernier personnalisera le phénomène du circuit en Mouchette en le nommant ‘Satan’ et désignera Gallet comme celui qui maintient le circuit fermé 930 . Dans cette étape, malgré la profondeur de son désir, il lui est impossible de conceptualiser ce qu’elle désire. Ce désir impossible à satisfaire la rend de plus en plus désireuse (d’être libre) jusqu’à devenir folle, tournant sans fin dans un cercle entre l’imaginaire et le réel. Il lui manque la symbolique (du langage).

Dans cette 2ème étape, la rencontre événementielle joue un rôle important. Lors de la rencontre avec l’abbé, elle est dans un état de désir sans issue. Tous ses programmes ont échoué, elle attend mais elle ne sait pas ce qu’elle attend (elle imagine des faits sans avoir le moyen de les réaliser). Le fait de rencontrer à l’improviste l’abbé, face à face, la ramène à la réalité. Et pendant le dialogue, Donissan lui montre que Satan est le responsable du meurtre dont elle se culpabilise, lui révèle aussi une autre attente qui serait la révélation du nom de Dieu. C’est un effet du dialogue. L’objet que Mouchette garde dans le secret devient l’objet de la communication (l’objet parlé) et produit un choc en elle ; il lui semble qu’elle est transpercée au cours du dialogue par la parole d’autrui. A travers leur dialogue, Donissan fait disparaître chez elle les valeurs dysphoriques (la culpabilité) et lui révèle le nom de Dieu. Donc cette fois, la perte de l’objet-valeur chez Mouchette ne la laisse pas dans désemparée. Leur dialogue (mettant l’objet dans le langage parlé) donne un effet contraire à celui de la nuit du conflit où ‘l’enfant’ était devenu tantôt un objet-compétent, tantôt un objet à éliminer. Après cette nuit de conflits, Mouchette s’était retrouvée dans un grand vide.

Cependant, Mouchette se suicide en rentrant chez elle. Cet acte donne l’occasion d’une deuxième rencontre avec Donissan et c’est lui qui alors touché par la force énonciative est poussé par la parole à réaliser le désir de Mouchette sans savoir l’exprimer. C’est Donissan qui entre désormais dans le temps du désir, temps qu’il attend sans pouvoir le symboliser.

Notes
929.

Bernard Vernières, « Mais une autre route peut être tentée... », dans EB n°20, p.35-64.

930.

D’ailleurs lors de sa rencontre avec Donissan, celui-ci dit : « Tu ne peux lui échapper. » (p.158)