2.3 Saint-Marin, de Paris à Lumbres

Le parcours de Saint-Marin est caractérisé par sa relation avec des objets. Dans un parcours orienté vers la quête d’une rencontre avec un saint à miracles, il trouve successivement sur son chemin des objets qui vont le transformer en un sujet signifiant. Là nous retrouvons un schéma semblable à la structure modèle de la rencontre. Car Saint-Marin, se déplaçant d’un lieu à un autre, est confronté à des objets qui détruisent ses propres valeurs qui lui collent à la peau. L’observation de ses déplacements permet de voir chez lui l’influence des objets rencontrés.

«  Schéma IV.2.2.3.A  » : Déplacement spatial dans le parcours de Saint-Marin.

Abréviation : Och (objet chose) ;  (lieu éclairé par la lumière de la lampe)

Le schéma ci-dessus peut être complété par un deuxième schéma.

« Schéma IV.2.2.3.B » :
« Schéma IV.2.2.3.B » :

Chez Saint-Marin, les trois axes phoriques sont liés aux lieux : lieux euphoriques, lieux dysphoriques, lieux réels (figural).

1) Lieux dysphoriques  : ‘Paris’, le lieu de la solitude où il craint une mort solitaire ; le ‘parloir’ où il rencontre l’abbé Sabiroux et le docteur Gambillet et où la bêtise de l’abbé Sabiroux, son alter-ego, lui fait honte.

2) Lieux euphoriques  : ‘Lumbres’, ‘l’église’, ‘le confessionnal avec la porte fermée’. Dans ces lieux, Saint-Marin imagine un saint populaire, voire un saint à miracles, ce sont les lieux de son rêve.

3) Lieux réels 931 (figural)  : ‘les taches brunes sur la muraille’ (lieu où se marque la souffrance réelle du curé) ; ‘le confessionnal avec la porte ouverte’ (où il découvre la face terrible) ... et où il rencontre le réel d’autrui.

Ce sont deux lieux où nous pouvons observer l’influence des choses sur ce personnage. Le premier est la chambre du curé de Lumbres où il voit d’abord les deux vieux souliers qui le comblent (euphorique), car il y trouve (voit) l’objet même de sa propre recherche 932 . A ce moment de son exultation, une autre image vient frapper son regard, ce sont sur le mur les taches brunes qui lui donnent le vertige (dysphorique). On peut le décrire ainsi :

Abréviation : Och (objet-chose) ; Ovi (objet-valeur imaginaire)

Le deuxième lieu est le confessionnal qu’il voit d’abord avec la porte fermée ce qui lui permet d’imaginer un saint à miracles, lui suggère et lui donne le désir d’une confession prochaine (euphorique). Au moment où il pressent avoir acquis l’objet désiré, il se voit tout seul devant le confessionnal (et il craint cette solitude), il sent en lui un grand vide et se rend compte que tout est imaginaire. Pour se rassurer ou maintenir les faits imaginaires, il ouvre grandement la porte du confessionnal. Quand il ouvre la porte, sa curiosité disparaît et il ressent divers sentiments dysphoriques : crainte, remords, regret, honte, etc, qui lui font baisser les yeux. Avec la montée de la lumière de la lampe, les choses se découvrent, étape par étape, son regard pénètrant peu à peu au fond du confessionnal. Ce mouvement de la lumière s’arrête devant la face terrible. C’est de cette bouche noire que sort une parole à son intention. Cette parole s’adresse alors non pas au personnage de Saint-Marin mais au lecteur. C’est là qu’il y a une transformation possible chez le lecteur par l’objet-parlé (être atteint par la force énonciative) ... ‘Tu voulais ma paix .... ’ (quelle paix ?)...

Abréviation : Ochr (objet-chose) ; Ovi (objet-valeur imaginaire)

Dans le parcours de Saint-Marin, deux objets sont particulièrement localisés et frappent son regard : les taches brunes sur le mur et la face terrible. Dans l’un et l’autre cas, ce n’est pas Saint-Marin qui regarde les images (S → O) mais ce sont les images qui frappent le regard de Saint-Marin (S ← O) d’une manière révélatrice grâce à la lumière de la lampe qui l’éclaire 933 . Cette révélation arrive (à la façon d’un éclair qui tombe d’en haut) au moment où Saint-Marin est au plus haut point de son exaltation et où il croit avoir trouver et posséder enfin l’objet de sa quête. Elle lui fait cependant voir autre chose et lui révèle un réel vertigineux.

Comment la deuxième image (‘la face terrible’) surprend-elle Saint-Marin ? Cela se passe dans l’‘église’ 934 . La nouvelle du sacristain, selon laquelle le saint curé a disparu, laisse Saint-Marin seul dans l’église 935 . Dans ce lieu paisible, il retrouve son calme et son talent d’écrivain et il s’apaise. Devant le confessionnal, il imagine l’activité idéale du saint curé et cette image lui donne de concevoir un projet de fin heureuse pour lui. En effet, s’il rencontre un vrai saint à miracles, il lui restera à faire seulement ce que le saint lui indiquera, et le conduira à une mort paisible, voire honorée par les publics. Il imagine cette direction à prendre à la fin de sa vie comme une activité d’écrivain comme si par là il allait ecrire sa dernière oeuvre 936 écrite pour lui seul. Ces faits imaginés lui donnent une joie immense à tel point qu’il sent la fièvre monter en lui, à fleur de peau. La conclusion heureuse de son dernier livre (qu’il va écrire) et ses brusques retrouvailles avec lui-même, seul devant le confessionnal, lui font l’effet d’un réveil brusque. A ce moment troublant, pour confirmer son rêve, et voir le lieu réel de l’activité d’un saint, il ouvre la porte du confessionnal 937 . Acte irréversible ... là où la lumière de la lampe révèle les objets qui se donnent à voir, l’envie de voir (ou la curiosité) de Saint-Marin cesse. Habité par des sentiments divers 938 , il baisse les yeux. Maintenant, c’est le reflet de la lampe qui guide son regard : son regard est disjoint de son désir et de sa curiosité sur ce qu’il y a à voir. Son regard monte avec la lumière : depuis deux gros souliers (qu’il a vus dans la chambre du curé et reconnus tout de suite) jusqu’à la ‘face terrible, foudroyée’... de laquelle s’échappe une voix qui retentit aux oreilles du lecteur : « TU VOULAIS MA PAIX, S’ECRIE LE SAINT, VIENS LA PRENDRE ! ... »

Notes
931.

Lieux réels où le ‘réel’ se donne à voir indépendamment des positions euphoriques.

932.

p.261 « ‘Quelle image !’ dit-il à voix basse. ‘Quelle ridicule et merveilleuse image !’ »

933.

Première image, p.261-262 « La belle voix grave de l’illustre écrivain resta comme perchée sur la dernière syllabe, tandis que son regard se fixait à l’angle du mur où le diligent Sabiroux promenait à ce moment la lumière de sa lampe. (...) la muraille rougie... Cette grandeur sauvage que la sagesse antique... L’éminent musicien n’eut pas le courage de plaquer son dernier accord, et cessa brusquement sa chanson. » ; Deuxième image, SSS, p.282 « Ce réveil trop brusque a rompu l’équilibre, le laisse agité, nerveux. (...) Sa main tâtonne, trouve une poignée, ouvre d’un coup. (...) mais déjà le reflet de la lampe sur les dalles a trouvé l’ouverture béante, s’y glisse, monte lentement... Son regard monte avec lui... (...) Puis... petit à petit... dans l’ombre plus dense... une blancheur vague, et tout à coup la face terrible, foudroyée. »

934.

p.271–284

935.

p.269

936.

p.278 « Ce sera ma dernière oeuvre, et je ne l’écrirai que pour moi, acteur et public tour à tour... » dit-il

937.

Le seul acte performant dans son parcours dans SSS.

938.

p.282 « L’hésitation a suivi le geste, (...) Un remords indéfinissable, le regret d’avoir agi si vite, au hasard ; la crainte, ou la honte, de surprendre un secret mal défendu, lui fait un instant baisser les yeux, (...) »