Dans une rencontre (réussie ou non), il y a toujours cette conversion de la modalité (du savoir au vouloir) par rapport au carré de la véridiction à l’intérieur du sujet. Observons à quel moment elle intervient.
Dans le cas où le récepteur du message reste purement au plan du savoir, l’axe référentiel (être / non-être) s’appuye uniquement sur le savoir-pratique (par exemple, ‘bon sens’), alors, le schéma ‘non-paraître’ / ‘paraître’ fonctionne comme un ‘mur’ (la loi sociale ou culturelle). Une fois qu’un personnage a glissé de l’‘être’ (savoir-être) au ‘non-être’ (non-savoir être), il n’a plus le moyen de s’en sortir. Ses paroles étant jugées comme mensongères ou fausses, il se trouve enfermer dans un circuit qui passe directement du mensonge au faux puis de nouveau au mensonge. Schématisons ainsi :
Remarque : les numéros 2,4,6 sont des cases vides où on peut mettre des événements que les acteurs subissent pour qu’il y ait le passage possible entre les étapes 1 à 3, 3 à 5, 5 à 7. Par exemple, dans le cas du parcours de Mouchette, sa dernière rencontre avec Donissan se situe dans n°6.
Dans ce schéma que je nomme ‘le processus d’une rencontre fausse’, une rencontre se réalise dans l’étape 5, et le partenaire de la rencontre est là pour renforcer l’axe de dissimulation (paraître → non-paraître). Dans ce cas, la personne rencontrée devient le contre témoin de leur rencontre. L’étape 7 qui en résulte durcit l’axe du paraître qui devient un mur infranchissable (que nous nommons ‘le mur de savoir’). Nous considérons cette rencontre, rencontre fausse (rencontre satanique), puisqu’elle enferme le sujet dans un circuit mensonge-faux. Nous avons vu dans nos analyses de la troisième partie que l’unique moyen pour sortir de ce circuit fermé, c’est la rencontre vraie qui réveille le vrai désir (non pas le savoir-vrai mais son vrai vouloir-être) chez le partenaire de la rencontre. Grâce à elle, l’axe thématique (savoir-être) se transforme en axe du désir (vouloir-être). Cette transformation du schéma être/non-être transforme aussi le schéma ‘paraître’/‘non-paraître’ et fait passer de l’axe de la communication (transmission du savoir) à l’axe de la parole échangée. Et le désir libère la parole vraie entre les deux partenaires de la rencontre. Le circuit devient donc libérateur :
Dans ce schéma, le sujet étant enfermé sous ‘le mur du savoir’ (étape 1), emet un cri muet (souffrant) que personne n’écoute. Ensuite il fait par hasard une rencontre dans laquelle pendant un dialogue la parole vraie se libère (non-paraître → paraître : l’étape 3) et démolit le mur du savoir. Cette démolition du mur libère aussi le sujet du désir (étape 5 : non-être → être). Désormais l’axe du ‘paraître’ (non-paraître → paraître) devient le lieu d’une parole échangée entre les partenaires de la rencontre (étape 7) où le secret se révèle avec confiance auprès d’une oreille attentive. Pour Bernanos, le langage de son temps est tout à fait brouillé, il est sous l’emprise de Satan (du menteur). C’est de ce désorganisateur du langage entre vrai et faux que le saint de Lumbres fait le procès par son dernier discours 970 . Tant que les personnages du roman restent au plan du savoir, ils ne peuvent pas sortir de (échapper à) l’emprise du père du Mensonge.
Dans SSS, lorsque les personnages arrivent à la position du ‘non-être’ (bloqué par le mur du savoir), ils deviennent des crieurs. Mais, élément commun à tous les cas de notre analyse, ce cri est un cri ‘muet’ qui n’est pas émis vers l’extérieur ou bien qui ne peut l’être. Ce sont les cris de l’angoisse dont Dieu seul peut être auditeur 971 . De ce point de vue, la rencontre dans laquelle se réalise la révélation de soi par autrui, est providentielle 972 , puisque la rencontre vraie extériorise ce cri muet, grâce à la parole du partenaire de la rencontre qui assume la fonction de témoin. Grâce à la rencontre, mais par ce seul chemin, les crieurs muets peuvent sortir de cette position du ‘non-être’ (ne pas savoir-être et non-vouloir être), et arriver à la position ‘vraie’ où le désir s’ajuste à la révélation (Parole). Selon le modèle que nous avons construit ci-dessus (schéma du ‘processus de la rencontre fausse’, schéma du ‘processus de la rencontre vraie’), la rencontre vraie révèle au crieur son vrai vouloir-être qui le pousse à exprimer son vrai désir malgré son savoir constaté impossible. A ce moment là, le crieur devient le sujet d’une parole qui manifeste son vrai désir, qui sera ensuite exaucé et présenté par son partenaire de la rencontre qui devient alors le témoin de ce crieur selon le devoir-être (et avec le consentement de ce répondant dont le désir est impliqué dans cette réponse). Dans les romans de Bernanos, ce rôle du témoin est confié à celui qui assume le rôle sacerdotal : souvent les prêtres mais aussi les jeunes filles : le cas de Chantal dans『 La Joie』, ou du narrateur dans『Nouvelle histoire de Mouchette』.
p.283-4
N’est-ce pas celà que Bernanos laisse entendre en écrivant ainsi ? : « Satan et nous », Crépuscule, p.56-58 « Ainsi l’abbé Donissan n’est pas apparu par hasard : le cri du désespoir sauvage de Mouchette l’appelait, le rendait indispensable. »
p.50 « Pour vous rencontrer j’ai fait un long détour, un très long détour, un détour bien singulier. » ; p.217 « ...avant le suprême détour, non choisi, mais reçu, visiblement reçu de Dieu, son dernier ami. »