Chapitre I. Cadre de recherche

1. Néolithisation du Levant nord

1.1. Cadre naturel

Le Levant est, dans le Proche Orient, une zone qui se situe au nord-ouest de la péninsule arabique. C’est une zone allongée du nord au sud, qui est limitée par les unités géographiques suivantes : les montagnes du Taurus au nord, le désert à l’est, la Méditerranée à l’ouest, et la péninsule du Sinaï au sud. Le terme « Levant nord » utilisé dans cette recherche correspond à peu près à la zone géoculturelle proposée par Aurenche et Kozlowski 1 (Fig. 1.1). En outre, quelques sites des zones voisines comme l’Anatolie du sud-est (les hautes vallées du Tigre et de l’Euphrate) et le Balikh (Djézireh) seront traités avec ceux du Levant nord en raison des liens culturels entre leurs industries lithiques et celles des sites du Levant nord. Le Levant nord est composé de plusieurs domaines géographiques (Fig. 1.2) et le paysage est assez varié étant donné sa largeur (200-250 km de la côte méditerranéenne au moyen Euphrate syrien).

Fig. 1.1 Le Levant nord avec les différentes zones géoculturelles (d’après Aurenche et Kozlowski 1999 : Fig. 3).
Fig. 1.2 Carte géographique du Levant nord.

La côte méditerranéenne se compose d’une plaine étroite, environ 15 km de largeur au maximum. Cette plaine est entourée par des chaînes montagneuses au nord et à l’est : le massif de Baer Bassit et l’Amanus se situent au nord, le Jabal An-Nassuriyeh allongé du sud au nord se situe à l’est 2 . Les deux fleuves, l’Oronte et le Nahr el Kébir, se jettent dans la Méditerranée, respectivement au niveau de Samandağ et de Lattaquié, où des alluvions épaisses se sont accumulées. À l’est du Jabal An-Nassuriyeh et au sud de l’Amanus, les plaines s’étendent dans le prolongement du Rift qui vient du golfe d’Aquaba : elles sont composées du bassin du Ghab, du bassin du Rouj, de la plaine d’Amuq et de la vallée d’Afrin. Ces régions sont riches en eau, avec des sources, des lacs (le lac Amuq et le lac Beloua dans le bassin du Rouj) et des cours d’eau (l’Oronte et la rivière Afrin). La bordure de ces dépressions est formée de massifs calcaires comme le Jabal Zawiye dans la vallée de Ghab. Lorsqu’on monte de la vallée du Rift vers l’est, le plateau central s’étale jusqu’à la vallée d’Euphrate. Des régions montagneuses bordent ce plateau au nord, qui correspondent à peu près à la frontière actuelle entre la Syrie et la Turquie. L’autre plaine (Djezireh) s’étend à l’Est de l’Euphrate, avec deux affluents de l’Euphrate (le Balikh et le Khabur). L’altitude change rapidement entre le littoral et le plateau : cela produit des milieux naturels variées dans des régions relativement étroites.

Le climat du Proche Orient est caractérisé par une saisonnalité forte : avec des étés chauds et secs, opposés à des hivers froids et humides. Les pluies tombent essentiellement en hiver. Les précipitations annuelles sont différentes selon les régions (Fig. 1.3). Dans la plus grande partie du Levant nord, elles sont relativement abondantes, 400-600 mm en moyenne, par rapport aux d’autres régions du Proche-Orient : sur le littoral, les précipitations peuvent atteindre 1000 mm. Dépendant de la différence des précipitations, les végétations actuelles sont également variées selon les régions (Fig. 1.4). Dans le Levant nord, les zones de végétation sont divisées en trois grands groupes différents : les forêts dans les chaînes montagneuses (au nord-ouest de la Syrie et en Anatolie orientale), la végétation méditerranéenne au nord-ouest de la Syrie et la végétation steppique au nord de la Syrie.

Fig. 1.3 Précipitations annuelles au Proche-Orient (d’après van Zeist and Bottema 1991 : Fig. 3).
Fig. 1.4 Végétations actuelles au Proche-Orient (d’après van Zeist and Bottema 1991 : Fig.4).

La reconstitution du paléoclimat et des végétations anciennes a été faite à partir des diagrammes polliniques des carottes prélevées dans les cuvettes lacustres et de l’analyse de la flore des sites archéologiques. Les diagrammes polliniques du bassin du Ghab permettent d’étudier le paléoenvironnent du Levant nord. Selon les résultats du Ghab, la forêt (Cf. Quercus : chêne) s’est rapidement développée au nord-ouest de la Syrie entre 12,000 et 11,000 BP (ca. 12,000-11,000 cal. BC, Fig. 1.5 : zone pollinique locale 2) 3 . Les auteurs ont remarqué que la végétation forestière a atteint un maximum de 10,000 à 8000 BP (ca. 9800-7000 cal. BC, zone pollinique locale 3, correspondant grosso modo aux PPNA et PPNB). Le recul des pollens d’arbres peut être observée après 8000 BP (ca. 7000 cal. BC) et la proportion des pollens d’arbres n’est jamais remontée aux niveaux atteints entre 10,000 et 8000 BP (ca. 9800-7000 cal. BC). Cette tendance observée dans le Ghab contraste avec les observations issues des diagrammes polliniques du bassin du Houlé au nord d’Israël. À la différence du Ghab, l’expansion de la végétation forestière y est observée depuis 13,000 BP (ca. 12,600 cal. BC) et ce processus atteint un maximum vers 11,500 BP 4 (ca. 11,500 cal. BC, Fig. 1.6). Le diagramme du Houlé montre le déclin rapide des pollens d’arbres entre 11,500 et 10,500 BP (11,500-9800 cal. BC), moment où le diagramme du Ghab montre, au contraire, une période favorable à la forêt.

Fig. 1.5 Diagrammes polliniques du bassin du Ghab (d’après Hillman 1996 : Fig. 10.7).
Fig. 1.6 Diagrammes polliniques du bassin de Houlé (d’après Hillman 1996 : Fig. 10.6).

Cette discordance entre le Ghab et le Houlé a été expliquée par plusieurs causes, dont l’erreur des datations pour les diagrammes du Ghab et la différence régionale des effets du climat 5 . Les nouveaux résultats des diagrammes polliniques du Ghab semblent cependant confirmer les précédents (Fig. 1.7). Là encore, le diagramme indique que la forêt de chêne s’est développée de 12,500 à 9000 BP (ca. 12,500-8200 cal. BC, zone pollinique locale 2). En même temps, ce nouveau diagramme du Ghab montre que les pollens de chêne (Quercus) diminuent rapidement entre 9000 et 8600 BP (ca. 8200-7600 cal. BC). Nous ne pouvons pas juger si ce changement à été causé par la surexploitation du bois par les hommes du PPNB comme les auteurs l’ont suggéré 6 . Par ailleurs, un phénomène similaire a été observé dans les niveaux PPNB récent de Tell Halula (vers 8600 BP soit ca. 7600 cal. BC) : Quercus et Pistacia diminuent par rapport aux niveaux PPNB moyen, par contre les chénopodiacées augmentent 7 . On peut expliquer ce phénomène par un dessèchement climatique ou par la surexploitation du bois 8 .

Fig. 1.7 Nouvelles diagrammes polliniques du bassin de Ghab (d’après Yasuda et al. 2000 : Fig. 10.6).

Pour l’instant, étant donné les diverses études polliniques dont celles mentionnées plus haut, on peut supposer que le début de l’Holocène était plus humide que le climat actuel (Fig. 1.8). Ce climat a probablement accéléré l’expansion au maximum de la végétation forestière avec deux schémas possibles : seule la partie ouest du Levant nord a été couverte par la forêt (Fig. 1.9), ou la plus grande partie du Levant nord était couverte par la forêt (Fig. 1.10) et il est possible que la limite entre la végétation forestière et la végétation steppique se soit située beaucoup plus à l’est qu’aujourd’hui. Le dessèchement du climat et l’installation du climat actuel ont, semble-t-il, commencé après 8000 BP (ca. 7000 cal. BC). Le déclin des pollens d’arbres est observé dans les quelques données disponibles pour le PPNB (9600-8000 BP soit 8800-7000 cal. BC) au Levant nord, comme nous l’avons noté, mais on ne peut pas trancher sur les raisons anthropiques ou climatiques de ce phénomène. Le dessèchement du climat supposé au Levant sud vers 8000 BP (7000 cal. BC) n’est pas encore bien confirmé au Levant nord 9 . Étant donné la différence régionale de climat entre le sud et le nord lorsqu’on compare les diagrammes du Ghab et de Houlé, même si le dessèchement a commencé dans tout le Levant vers 8000 BP (7000 cal. BC), son effet aura été probablement différent au sud et au nord.

Fig. 1.8 Changements climatiques et paléoenvironnementaux au Proche-Orient de 24,000 à 5000 BP. Trais horizontaux : phases humides (d’après Sanlaville 1997 : Fig. 1)
Fig. 1.9 Végétations reconstruites dans le début de l’Holocène, vers 8000 BP (ca. 7000 cal. BC, d’après van Zeist and Bottema 1991 : Fig. 44).
Fig. 1.10 Végétations reconstruites dans le début de l’Holocène, vers 11,000 BP (ca. 11,000 cal. BC, d’après Hillman 1996 : Fig. 10.10-b).
Notes
1.

Aurenche et Kozlowski 1999.

2.

Le point le plus élevé dans le massif Baer Bassit est le Jabal Aqraa, 1700 m, et la hauteur du Jabal An-Nassuriyeh est de 1300-1600 m en moyenne (Hardenberg 2003).

3.

Bottema and van Zeist 1981 : 118 ; van Zeist and Bottema 1991 : 101.

4.

Hillman 1996 : 166-168.

5.

Hillman 1996.

6.

Yasuda et al. 2000 : 131.

7.

Cauvin J. et al. 1997 : 64.

8.

ibid.

9.

Sanlaville 1997 : 252.