3.2. Évolution de la technologie de lithiques

3.2.1. Débitage laminaire bipolaire

Le débitage laminaire bipolaire joue un rôle important pour la production des supports d’outil pendant toutes les phases d’occupations (El-Rouj 1a à 2a/2b). Cependant, il faut noter que la différence technologique est remarquable entre la phase la plus ancienne (El-Rouj 1a) et les phases suivantes (El-Rouj 1b et 2a/2b). À la période El-Rouj 1a, les nucléus bipolaires sont presque toujours naviformes : ils ont une crête arrière et les flancs sont bien régularisés par des enlèvements à partir de cette crête. Les produits recherchés dans le débitage bipolaire de cette période sont un type particulier de lames centrales prédéterminées (les lames centrales de type 2 dans cette recherche) : les lames sont régulièrement détachées selon une même modalité d’exploitation (Fig. 2.3 : première modalité). Par ailleurs, le caractère le plus marqué du débitage bipolaire de cette période est son étroitesse par rapport à celui des périodes plus récentes. Les nucléus naviformes montrent une largeur d’environ 20-30 mm et on peut estimer qu’elle était de 30-40 mm au début de l’exploitation. Les lames sont également étroites, généralement environ 15 mm de large. Cette étroitesse du débitage semble être liée au volume des blocs d’origine, qui sont plus petits que par la suite, et à l’intention du débitage laminaire de cette période.

À partir de la période El-Rouj 1b, plusieurs changements sont observés dans le débitage bipolaire. Les formes des nucléus bipolaires deviennent variées : nucléus naviformes, nucléus à crête postéro-latérale, nucléus à dos cortical. Cette différence morphologique parmi les nucléus bipolaires provient de la différence de mode pour la mise en forme des nucléus. Le mode de préparation des nucléus est probablement variable selon les formes des blocs d’origine afin de faire une préforme avec des flancs réguliers. La modalité d’exploitation des lames change à cette période. À la différence de la période précédente, les lames centrales prédéterminées sont préparées par l’enlèvement de deux paires de lames opposées (Fig. 2.3 : deuxième modalité). La maintenance de la surface de débitage semble être devenue plus compliquée qu’avant : le nombre de lames de correction de formes diverses augmente nettement par rapport à celui de la période précédente. Par ailleurs, un accroissement des dimensions dans le débitage bipolaire est à noter. La largeur des nucléus bipolaires est alors de 30 à 50 mm, utilisant probablement un bloc de 50 à 60 mm d’épaisseur initiale. De la même manière, la largeur des lames est en général plus grande qu’avant, environ 20 mm de large : il faut noter que les lames de plus de 20 à 30 mm de large, qui sont très peu présentes à la période précédente, sont relativement abondantes à partir de la période El-Rouj 1b. Ce développement des dimensions concerne plutôt la largeur et l’épaisseur des lames. Par contre, la longueur ne montre pas de différence nette entre la période El-Rouj 1a et El-Rouj 1b et les lames des deux périodes sont en général d’environ 10 cm de long.

Fig. 3.57 Différence dans la sélection du support entre les pointes d’Ugarit de la période El-Rouj 2a/2b et les pointes d’Amuq de la période El-Rouj 2c.

À la période suivante (El-Rouj 2a/2b), le début du Néolithique céramique, on ne trouve aucun changement dans le débitage bipolaire par rapport à la période El-Rouj 1b. Cependant, à partir de la période El-Rouj 2c (phase moyenne du Néolithique céramique), nous pouvons probablement remarquer un changement dans le débitage bipolaire. À cette période, il n’y a quasiment que des pointes d’Amuq, qui sont façonnées sur lame bipolaire. Pour les supports des pointes d’Amuq, des lames centrales prédéterminées de section triangulaire sont souvent choisies (Fig. 3.57). Aux périodes précédentes, les lames de section trapézoïdale sont aussi courantes que celles de section triangulaire dans les lames centrales prédéterminées. Mais les lames de section trapézoïdale sont rarement présentes dans les supports de ces pointes d’Amuq : en fait, la pointe d’Amuq nécessite une lame de section triangulaire haute. Ce fait suggère deux hypothèses sur le changement de débitage bipolaire à la période El-Rouj 2c. Selon la première hypothèse l’intention du tailleur aurait changé : la modalité du détachement des lames serait la même qu’avant mais les tailleurs auraient produit les lames centrales prédéterminées avec l’intention d’avoir une lame de section triangulaire. Selon la deuxième hypothèse, le mode de préparation des lames aurait changé. Cependant, curieusement nous n’avons qu’un nucléus bipolaire et très peu de lames bipolaires dans les couches de cette période, et pour le moment il est difficile d’approfondir ce problème.

Enfin, à la phase finale du Néolithique céramique (El-Rouj 2d), aucun débitage bipolaire n’est observé dans l’industrie lithique.

Le mode de détachement sur les nucléus bipolaires étaient probablement le même pendant toutes les périodes néolithiques : les nucléus ont été maintenu à la main et les lames ont été en général détachées par percussion directe. Cependant pour les spécimens de la période El-Rouj 1a qui sont des nucléus à l’exploitation très poussé (Pl. 3.1), il semble qu’il est difficile de détacher des lames au maintien des nucléus a la main : parfois ils a été peut-être nécessaire à immobiliser le nucléus 143 .

Lorsqu’on regarde la sélection des supports pour les outils à Kerkh, nous pouvons constater un lien particulier entre les lames centrales prédéterminées et les pointes. La proportion de ce type de lame parmi les pointes est la plus élevée (plus de 90 %), par contre les autres outils sont souvent aussi façonnés sur des lames latérales ou des lames de correction. Ce rapport particulier est confirmé par les exemples de la période El-Rouj 2c (phase moyenne du Néolithique céramique), où le débitage laminaire bipolaire ne joue plus un rôle important pour les supports d’outil : les lames bipolaires servent uniquement pour fabriquer les pointes. Enfin, à la fin du Néolithique céramique (El-Rouj 2d), les pointes disparaissent, et le débitage bipolaire aussi.

Notes
143.

Abbès et Déraprahamian 2001 : 211.