2.4. Conclusion : reconstitution du système de production lithique à Dja’de el Mughara

À la phase la plus ancienne (Phase I), la plupart des outils ont été réalisés sur lame débitée sur des nucléus bipolaires ou unipolaires. Le silex utilisé était essentiellement des galets fluviaux. Même dans le cas des nucléus bipolaires, les lames ont souvent été extraites à partir d’un seul plan de frappe. Le débitage unipolaire joue un rôle beaucoup plus important par rapport aux phases supérieures. Par ailleurs, le débitage bipolaire en silex à grain fin, utilisant le mode d’extraction des lames typique du PPNB ancien, est moins bien représenté à cette phase : les lames centrales prédéterminées de type PPNB ancien sont quasiment absentes sauf sur les supports de quelques outils. Parmi les outils sur lame, les grattoirs, les outils perçants et les pointes sont des outils dominants. Les pointes de cette phase se caractérisent par leur base retouchée sans pédoncule développé. Le façonnage des outils sur éclat, notamment des grattoirs, était réalisé sur les supports détachés de nucléus à éclats ou sur des déchets du débitage laminaire.

À la Phase II, les galets à grain moyen sont aussi des matières premières principales, mais la proportion de rognons à grain fin a augmenté par rapport à celle de la phase précédente. Les outils sont, pour la plupart, sur des lames débitées de nucléus bipolaires. La production des lames à partir de nucléus bipolaires a manifestement pour objet d’obtenir des lames centrales prédéterminées. Contrairement à la situation de la phase précédente, le débitage unipolaire est devenu beaucoup moins important pour le façonnage des outils sauf pour les grattoirs, qui sont souvent réalisés sur lame unipolaire. Quant aux pointes, on peut constater que les pointes à base retouchée ont été remplacés par les pointes à pédoncule au milieu de cette phase. Les lames centrales prédéterminées sont préférées pour la fabrication des pointes. Parmi les outils sur éclat, les grattoirs de forme variée sont aussi prédominants : ils sont parfois sur éclat de nucléus à éclats, parfois sur éclat de débitage laminaire.

À la phase finale du PPNB ancien de Dja’de, Phase III, l’industrie lithique est caractérisée par le débitage laminaire comme toujours, mais, en particulier, le débitage bipolaire a joué le rôle principal pour le façonnage des outils. L’utilisation des silex à grain fin est beaucoup plus importante qu’aux phases inférieures, notamment pour le débitage bipolaire. Les lames centrales prédéterminées, produites à partir de nucléus bipolaires selon le mode d’extraction typique du PPNB ancien, sont souvent utilisées pour les outils. Le déclin de débitage unipolaire a déjà été signalé à la Phase II, et à la Phase III les lames produites avec ce débitage sont rares : elles ne sont quasiment pas utilisées pour les outils. Les pointes sont aussi les outils dominants à cette phase. Typologiquement, les pointes à pédoncule assez développé sont abondantes, par contre les pointes à base retouchée sont quasiment absentes. L’utilisation des galets à grain moyen est plus courant pour les outils sur éclat comme les grattoirs que pour les outils sur lame. Ces outils sont probablement façonnés sur des supports extraits des nucléus à éclats.

Fig. 4.29 Dja’de, secteur SB. Proportions des lames bipolaires et unipolaires dans le débitage pendant les Phases I à III.

En résumé, notre observation du matériel lithique du secteur SB a montré une évolution graduelle des industries lithiques durant les trois phases. Cette évolution est marquée par trois changements principaux : dans le choix du silex, dans le débitage laminaire et dans la typologie des pointes. Premièrement, le silex à grain fin provenant de rognons augmente en proportion vers les phases supérieures. Deuxièmement, on voit le déclin du débitage unipolaire vers les phases supérieures, et en revanche une prédominance du débitage bipolaire à la Phase III (Fig. 4.29). Troisièmement, les pointes à base retouchée sans pédoncule, qui sont dominantes dans la Phase I, sont remplacées par les pointes à pédoncule dès le milieu de la Phase II.

Par ailleurs, lorsqu’on la compare avec les sites voisins, l’évolution notée ci-dessus correspond à des changements qui ont eu lieu durant tout le PPNB ancien : les traits observés à la Phase I sont proches de ceux des industries lithiques des sites du PPNA ; par contre ceux observés à la Phase III sont proches de ceux de la phase IVB de Mureybet (PPNB moyen). Cela indique probablement que Dja’de a été fondé à la fin du PPNA ou au tout au début du PPNB (vers 9700-9600 BP soit 8800-8700 cal. BC) et qu’il a été abandonné une première fois à la fin du PPNB ancien (vers 9000 BP soit 8000 cal. BC).

Lorsqu’on les compare avec celles de Tell Ain el-Kerkh, étant donné la présence de pointes d’Aswad dans la Phase II et III et la prédominance du débitage bipolaire dans la Phase III, les industries lithiques de Dja’de sont comparables dès le milieu de Phase II à l’industrie lithique de la phase PPNB ancien de Kerkh (période El-Rouj 1a). Cependant, il faut noter qu’on trouve les différences importantes entre deux sites comme la présence du débitage unipolaire utilisant des galets ou de pointes diverses à Dja’de, qui sont tout à fait absentes à Kerkh.