1.2. Moyen Euphrate

1.2.1. Mureybet phase IVA et Cheikh Hassan (Abbès 2003 ; Cauvin M.-C. 2004)

Les systèmes de production lithique utilisés sur ces deux sites du Moyen Euphrate se ressemblent. Les matières premières principales sont les silex locaux, qui comportent du silex de rognons et du silex de galets fluviaux. Les premiers sont des silex éocènes, qui proviennent probablement de la formation calcaire située près de Cheikh Hassan. Ils sont caractérisés par une très bonne qualité et par une couleur brune ou noire. Les seconds sont des silex disponibles sur les rives de l’Euphrate. Leur grain est assez varié, de texture très fine avec une texture « sèche » peu silicifiée. Sur les deux sites, les silex éocènes à grain fin sont ceux de la majorité de l’industrie lithique (par exemple, 71 % du total à la phase IVA de Mureybet). En particulier, ce type de silex est préféré pour le débitage bipolaire.

Les outillages des deux sites sont principalement fabriqués sur lame. Pour les débitages laminaires, il y a deux types différents de débitage : le débitage bipolaire et le débitage unipolaire. Quant au choix du type de silex, les silex de rognon et les silex de galet sont tous les deux utilisés pour le débitage bipolaire, par contre, pour le débitage unipolaire, les silex de galet sont généralement préférés. Les nucléus bipolaires se caractérisent par des préparations et exploitations soignées. Ces nucléus sont typologiquement divisés en nucléus à dos cortical, nucléus naviformes (Pl. 5.2 : 1) et nucléus à crête postéro-latérale (Pl. 5.2 : 2). Ces différents types indiquent les différents modes de mise en forme des nucléus qui sont probablement liés aux dimensions et formes des blocs de silex 189 . En général, les nucléus bipolaires de Cheikh Hassan 190 sont étroits et allongés, 70-80 mm de long et 30-40 mm de large en moyenne. L’objet du débitage bipolaire est de produire des lames à extrémité pointue avec un profil rectiligne (lames centrales prédéterminées, Pl. 5.4 : 1-2). L’extraction des lames est conduite généralement à un même rythme régulier : une lame pointue (lame centrale prédéterminée) est détachée en suivant deux nervures qui sont créées par l’extraction de deux lames latérales (lames débordantes, Pl. 5.4 : 3-4) à partir d’un plan de frappe opposé. On peut observer ce rythme d’extraction sur un nucléus naviforme recueilli dans les fouilles de Mureybet par van Loon (Pl. 5.3 : 1-2) 191 . La façon dont ce rythme est gardé durant l’exploitation des nucléus bipolaires apparaît remarquable si on le compare avec la phase PPNA finale d’un même site (Cheikh Hassan) 192 . Dans la phase PPNA final, même dans le débitage bipolaire, les lames ont été enlevées à partir d’un même plan de frappe du nucléus, et en conséquence, les lames centrales sont beaucoup plus nombreuses par rapport aux lames latérales (débordantes) : il y a environ 90 % de lames centrales pour 10 % de lames débordantes. Par contre, dans la phase PPNB ancien, la proportion de lames latérales (débordantes) est beaucoup plus élevée : 66 % de lames latérales pour 34 % de lames centrales. Cela montre bien qu’à partir du PPNB ancien, les lames latérales (débordantes) sont obligatoirement enlevées pour la préparation des lames centrales dans l’exploitation du nucléus bipolaire. Les lames bipolaires de ces sites sont encore étroites et minces par rapport aux lames des périodes plus tardives (15-16 mm de largeur et 4-5 mm d’épaisseur en moyenne).

L’autre débitage laminaire, le débitage unipolaire, est aussi bien représenté. Les nucléus sont réalisés à partir de galets, sans mise en forme particulière (Pl. 5.4 : 5-6). Les lames à une nervure et de section triangulaire sont les produits préférés de ce débitage (Pl. 5.4 : 7-8). Il a été signalé que le débitage unipolaire complétait le débitage bipolaire par la production des lames épaisses qui ne sont pas obtenues par le débitage bipolaire et qui sont nécessaires pour certains outils épais 193 .

La plupart des outils sont façonnés sur lame hormis pour les éclats retouchés et les grattoirs qui sont essentiellement sur éclat (Pl. 5.5 : 11). Les pointes sont de formes diverses (Pl. 5.5 : 1-7) : il y a des pointes à pédoncule carré (Pl. 5.5 : 1-2) ou losangique (Pl. 5.5 : 4-5) et des pointes à base tronquée (Pl. 5.5 : 6-7). Les pointes sont aménagées par des retouches abruptes, directes ou inverses. La retouche lamellaire n’est pas courante pour la fabrication de ces pointes. Parmi les lames lustrées, quelques spécimens sont sur lame entière (Pl. 5.5 : 8-9). Les lames à ergot (Pl. 5.5 : 10), qui portent des encoches sur un bord de l’extrémité distale, sont un type particulier du PPNB ancien du Moyen Euphrate.

Quant à la sélection des types de lames, les meilleures lames centrales sont souvent utilisées pour les pointes, tandis que des lames diverses sont sélectionnées pour les autres outils 194 .

L’étude technologique de F. Abbès 195 sur les industries lithiques de ces sites a montrée clairement pour la première fois la distinction dans l’évolution de l’industrie lithique entre la phase PPNA finale et la phase PPNB ancien 196 . La plupart des outils ne change pas typologiquement entre la phase PPNA finale et la phase PPNB ancien sauf plusieurs nouveaux types d’outil du PPNB ancien comme les lames à ergot. La différence entre les deux phases est l’adoption du débitage bipolaire avec une modalité particulière d’extraction des lames dès le PPNB ancien 197 .

Par ailleurs, lorsqu’on compare les industries avec celle de la phase PPNB ancien à Tell Ain el-Kerkh (El-Rouj 1a), on peut constater qu’il y a des traits semblables et d’autres différents. Comme similitude importante, il faut noter que le débitage bipolaire avec la même modalité d’extraction des lames joue un rôle important sur tous ces sites. Les produits recherchés sont des lames centrales pointues, qui sont préférées pour les supports de pointes. Par ailleurs, le débitage unipolaire utilisé pour obtenir des lames épaisses est complètement absent à Kerkh. Quant aux différences de forme des outils, les lames à ergot et les pointes à pédoncule carré ou losangique sont souvent présentes dans les sites PPNB ancien du Moyen Euphrate, mais elles n’existent pas à Kerkh. Par contre, les pointes d’Aswad, qui sont les pointes dominantes à la phase PPNB ancien de Kerkh, sont absentes ou beaucoup moins bien représentées à Mureybet et Cheikh Hassan.

Notes
189.

Abbès 2003 : 144.

190.

Pour Mureybet phase IVA, il y a seulement deux fragments brûlés de nucléus naviformes, qui ne permettent pas de connaître leurs caractéristiques (Abbès 2003 : 89).

191.

Matériels entreposé au musée d’Alep.

192.

Abbès 2003 : 63.

193.

Abbès 2003 : 145.

194.

Abbès 2003 : 144-145.

195.

Cf. Abbès 2003.

196.

Abbès 2003 : 145.

197.

En fait, ce type de débitage bipolaire apparaît dès le PPNA final (cf. Jef el Ahmal : Stordeur et Abbès 2002), mais il n’a pas alors joué un rôle important pour l’outillage dans cette phase.