B) Le principe de soumission, atavisme ministériel

Carré de Malberg a montré à quel point « l’idée originaire du Parlement concentrant en lui la représentation de la volonté générale » 25 avait entraîné « la conséquence logique et inévitable » 26 d’une soumission générale des ministres au Parlement. En effet, dès l’instant que la Chambre était conçue « comme l’organe en qui se forme et par qui se manifeste la volonté du peuple français, il va de soi que la volonté parlementaire, bénéficiant du caractère souverain de la volonté qu’elle représente, était appelée à l’emporter sur les volontés de toute autre autorité, quel que fût l’objet sur lequel elle viendrait à s’affirmer » 27 . La position du ministre se trouvait dès lors résumée par l’éminent auteur : « étant donné que le Président de la République ne peut plus être considéré comme formant vis-à-vis des Chambres une deuxième autorité principale, dotée, parallèlement à elles, d’une puissance propre et autonome, il est devenu impossible de définir le Ministère autrement que comme un comité d’action du Parlement » 28 . René Capitant résumait cette situation en constatant que « les orléanistes de 1875 se faisaient (…) des illusions (…). Ils n’inscrivaient nullement dans le texte le régime dont ils espéraient le triomphe » 29

Or, si les républicains de 1958 préférèrent, en revanche, accompagner leurs illusions de mesures concrètes et précises, elles ne le furent pas plus à l’avantage du ministre. Les remarques formulées par François Luchaire, dans une Note sur l’état des travaux constitutionnels du 23 juin 1958, laissaient présager la réforme qui s’opérerait en 1962 : « Une assemblée élue au suffrage universel n’acceptera pas l’arbitrage d’un chef d’Etat représentant le quart du corps électoral. Le chef d’Etat lui-même, conscient de cette faiblesse congénitale, n’exercera pas ses pouvoirs à moins qu’il n’ait – comme le général de Gaulle – un titre qui lui vient de l’histoire. En dehors de cette exception, il n’y a qu’une légitimité, celle du suffrage universel ; le Parlement le fera sentir comme il l’a déjà fait sentir au maréchal de Mac Mahon et à Alexandre Millerand » 30 . Cette réforme permît à la fonction présidentielle de donner la mesure qu’on lui connaît, ce que confirma d’ailleurs le général de Gaulle, lors de sa fameuse et controversée conférence de presse du 31 janvier 1964 : « (…) l’autorité indivisible de l’Etat est confiée tout entière au Président par le peuple qui l’a élu, (…) il n’en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui » 31 .

La situation du ministre, suivant en cela le contexte institutionnel dans son ensemble, ne fut évidemment plus la même avant et après 1958. Cependant, le trait que nous avons souligné, cette relation contradictoire entre le statut du ministre, l’attribution de ses compétences, d’une part, et les nécessités de sa fonction, d’autre part, ne semble pas avoir disparu. Pour l’exprimer plus trivialement, nous pourrions écrire que le ministre n’a pas changé de condition, il a seulement changé de maître. La question ministérielle semble donc classiquement empreinte de confusion, qui a pu expliquer un relatif éloignement des auteurs à son égard.

Notes
25.

CARRÉ DE MALBERG (Raymond), La Loi, expression de la volonté générale, éd. Sirey, 1931, rééd. Économica, coll. « Classiques », 1984, 228 p., p. 197.

26.

Ibid., p. 196.

27.

Ibid., p. 197.

28.

Ibid., p. 198.

29.

CAPITANT (René), « L’aménagement du pouvoir exécutif et la question du Chef de l’État », Encyclopédie Française, tome X, 1964, in Écrits constitutionnels, Éditions du CNRS, 1982, 485 p., p. 392.

30.

Archives François Luchaire, in Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, Comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la Ve République, éd. La Documentation française, 1988, Volume I, 613 p., p. 285.

31.

Cité par Georges BERLIA, « La conférence de presse du Président de la République du 31 janvier 1964 », RDP, 1964, pp. 127-136, p. 127.