C) Une apparente confusion marquant l’institution, source de délaissement dans l’œuvre doctrinale

L’ambition du présent travail est de contribuer à la connaissance de l’institution ministérielle, sur laquelle peu de regards se sont finalement portés, au point que D. Lévy a pu déplorer le fait que « les ministres ont depuis de longues années été traités en parents pauvres par les constitutionnalistes, et la littérature française dans ce secteur laisse beaucoup à désirer » 32 .

Un auteur coréen s’est intéressé, voici quelques années, aux ministres dans la Constitution de 1958. M. Sung Nak~In, dans son étude sur Les ministres de la Cinquième République Française 33 , choisit ainsi un angle d’approche le plus vaste possible. Il entend étudier l’institution ministérielle dans sa globalité, c’est-à-dire à la fois les pouvoirs et la responsabilité. Son appréhension de la question, la problématique qui s’en dégage, sont très vastes, et son ambition est de décrire, en adoptant une dichotomie éprouvée, la masse d’informations qu’il a réunie. S’agissant par exemple du pouvoir réglementaire, l’auteur constate simplement que le ministre a le pouvoir d’organiser ses services, qu’il prend des circulaires qui parfois font grief. Cette question est pourtant cruciale pour tenter de cerner ce qu’est la fonction ministérielle. La jurisprudence administrative est riche d’interrogations, de discussions, de renversements en la matière. Notamment, la question relative au phénomène interprétatif mériterait d’être abordée, tant elle stimule l’interrogation.

Plus généralement, l’ambiguïté de l’organe ministériel étant source d’incertitude, elle peut provoquer débat sur les contours du pouvoir du ministre. Le fait que celui-ci se trouve cantonné dans un statut contraignant peut interroger. L’organisation constitutionnelle détermine les compétences des organes de l’État et, ce faisant, en fixe les limites. En effet, « l’Etat n’est pas seulement le lieu de la domination ; il est aussi l’appareil qui permet de la contrôler car, par la constitution, il impose un statut aux gouvernants » 34 . Or, s’agissant du ministre, l’incertitude règne. C’est ce qui a permis à certains auteurs de considérer que l’indétermination de la distribution des pouvoirs à l’égard du ministre pouvait signifier qu’elle lui était par conséquent favorable. C. Wiener a ainsi effectué, à la fin des années soixante, des Recherches sur le pouvoir réglementaire des ministres 35 , qui visaient à démontrer l’existence d’un tel pouvoir, en propre, au profit de l’autorité ministérielle. L’auteur souhaitait aboutir à la reconnaissance puis à la consécration, au bénéfice du ministre, d’un véritable et entier pouvoir réglementaire. Nous considérons au contraire que le pouvoir réglementaire n’appartient pas au ministre, même si celui-ci dispose par ailleurs des instruments pour exercer sa fonction.

Pour démontrer ces affirmations, encore faut-il faire apparaître la soumission du ministre au regard de son statut, car cette appréciation ne relève pas de l’évidence. En effet, l’observateur peut porter un jugement assez différent en fonction des outils choisis pour son étude. Ainsi, la Constitution expose les prérogatives conférées au Gouvernement. Puisque les ministres font partie de cet organe collégial sans que celui-ci ne constitue la somme de ceux-là, certains analystes pourront estimer que, pour cette raison, le ministre n’a aucun pouvoir sous cet angle 36 . D’autres s’attacheront à décrire les compétences du Gouvernement, mais en restant prudemment dans ce cadre, sans tenter de déterminer ce qui, au niveau individuel, constitue le ressort de l’exercice de ces compétences (poids des ministres en fonction de leurs domaines de compétences, données politiques, etc.). D’autres thèses tenteront au contraire de montrer les pouvoirs étendus des ministres dans la sphère des actes élaborés en Conseil des ministres, pour en faire valoir la force juridique face au pouvoir du chef de l’État. A l’encontre de ces idées, on invoquera la pratique constitutionnelle, en s’appuyant sur l’idée de coutume au sens juridique, ou encore sur l’esprit de la Constitution, en se fondant notamment sur ses travaux préparatoires. Le même type de controverse existe sur la question de la valeur juridique du contreseing ministériel, soit qu’on en appelle à l’esprit de la contresignature dans les canons du parlementarisme, soit que l’on fasse valoir le raisonnement du juge à l’aune du régime de 1958 37 .

L’ensemble de ces points n’a, à notre connaissance, pas fait l’objet d’une tentative d’approche globale, resituée dans le cadre des institutions de 1958. Il semble donc que la place existe pour un travail adoptant une conception systémique de l’organe ministériel, afin d’en proposer un nouvel éclairage.

Notes
32.

Préface à l’étude de M. SUNG NAK~IN, Les ministres de la Cinquième République Française, éd. LGDJ, coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », tome 70, 1988, 291 p., p. 9.

33.

Ibid.

34.

BURDEAU (Georges), dans sa préface à l’ouvrage de Raymond CARRÉ DE MALBERG, La Loi, expression de la volonté générale, op. cit., p. IX.

35.

WIENER (Céline), Recherches sur le pouvoir réglementaire des ministres, éd. LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 1970, 298 p.

36.

Par exemple, M. SUNG NAK~IN, dans sa thèse (Les ministres de la Cinquième République Française, op. cit.).

37.

V. les études de Jean-Paul TIMBAL sur Le contreseing ministériel (thèse, Toulouse, 1975, 305 p.), ou de Bernard BRANCHET portant sur Le contreseing et le régime politique de la Ve République (éd. LGDJ, coll. « Bibliothèque constitutionnelle et de science politique », tome 82, 1996, 307 p.).