La présente démarche, loin d’être purement descriptive, vise à comprendre comment l’institution ministérielle, enfermée dans un statut contraignant, peu favorisée par la distribution constitutionnelle des compétences, trouve cependant les voies de l’exercice de sa fonction. La condition statutaire du ministre est-elle un obstacle à l’expression de son pouvoir ? Si elle ne l’est pas, comment s’opère alors l’ajustement de ces deux ordres ? Ces interrogations commandent de garder à l’esprit quelques réflexions devant imprégner la conduite du travail.
Un premier niveau doit consister à opérer une synthèse des compétences et missions ministérielles. Bien souvent, du fait du cloisonnement des branches du droit, la question n’est évoquée que partiellement et, dans les ouvrages d’ensemble, assez brièvement. Cette revue ne fera cependant pas l’objet d’une division à part entière, mais sera utilisée de manière transversale, pour alimenter à la fois la réflexion sur le statut du ministre, ses compétences, et permettra de se positionner dans les débats relatifs à l’étendue du pouvoir, notamment réglementaire, conféré ou non au ministre.
Le second degré de considération doit s’attacher à démontrer que les compétences ne suffisent pas à rendre compte d’une autorité. Il s’agit d’étudier par quels moyens, quels processus, le ministre exerce un pouvoir plus grand que ses compétences le laissent augurer. L’idée est de démontrer qu’au-delà de la lettre du texte, existe et persiste une sorte d’essence ministérielle, qui impose volens nolens l’existence d’un certain nombre de pouvoirs fondamentaux.
Enfin, sur un dernier plan, l’organe ministériel pourrait témoigner de ce que l’esprit d’un régime et, fondamentalement, d’une Constitution, trouve en lui-même les méthodes pour pallier les insuffisances d’un texte, et de ses dispositions, afin de réajuster le jeu institutionnel. En d’autres termes, ce n’est pas parce que le ministre est peu évoqué par le texte constitutionnel, que sa fonction est changée en quoi que ce soit. Le statut est quelque peu différent ; la fonction est inchangée. De là, la fonction ministérielle s’accomplit et le ministre exerce un certain pouvoir, car il est de l’essence du ministre d’accomplir une certaine fonction.
Ces différentes propositions peuvent prendre place au sein d’une réflexion menée en deux temps. Ainsi, ce n’est qu’une fois démontré l’affaiblissement du ministre dans sa condition ( Première partie ), qu’il sera permis de résoudre le paradoxe que nous évoquions au seuil de cette introduction. Il s’agira alors de mettre en lumière l’émancipation du ministre dans l’exercice de sa fonction ( Seconde partie ). L’affirmation de ce syncrétisme, dictée bien davantage par volonté de cohésion que par tentation d’irénisme, devrait permettre de rendre compte d’une situation complexe mais finalement cohérente.
En effet, la perspective de rendre compte du régime global d’une institution peut s’envisager par la combinaison de deux types d’éléments. Une fois exposé le statut de l’organe étudié, cette première analyse en appelle une seconde, qui lui est nécessaire, complémentaire. André-Jean Arnaud souligne de façon instructive que, du statut, qui correspond à la « position conférée à l’individu ou au groupe dans tout système juridique », « découlent rôles et attentes » 85 . Or, ce rôle, ces attentes nous semblent correspondre à la fonction du ministre, à sa mission, lesquelles ne figurent pas nécessairement de façon stricte et explicite dans l’énoncé d’une compétence. Si cette complémentarité se vérifie à l’étude, il sera alors possible de rendre justice à Vivien, qui ne voyait pas comment les ministres, pour accomplir leur mission, pourraient éviter d’attirer à eux ce qui ne leur est pas expressément donné 86 . Il sera permis de conclure que l’aporie, soulevée au seuil de cette étude, faisait bel et bien système, qu’elle n’était pas que pur sophisme, mais convaincante réalité.
Cité par Mireille DAMÉ-CASTELLI, « Statut », in André-Jean ARNAUD (Sous la direction de), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, op. cit., pp. 584-585, p. 584.
Cf. supra.