Première partie : L’affaiblissement du ministre dans sa condition

Dans la perspective de mieux apprécier le caractère intrinsèquement ambigu de la fonction ministérielle sous la Ve République, il est en premier lieu nécessaire de s’intéresser à la condition du ministre dans le système de 1958.

Ainsi qu’il a été dit, la condition du ministre est entendue au sens large, qui correspond à l’« ensemble des caractères et qualités qui définissent un état » 87 et, au plan juridique, à l’« ensemble des règles relatives à une certaine sorte de personnes ou de choses » 88 . De manière elliptique, ce dont il est alors question, est de savoir ce qu’est le ministre, et ce dont il dispose.

S’interroger, d’abord, sur ce qu’est le ministre nécessite de l’envisager au sein de la sphère institutionnelle dans laquelle il évolue, et de décrire la manière dont les autorités avec lesquelles il interagit influent, juridiquement, sur sa situation. Déterminer les éléments essentiels du statut ministériel permet de situer organiquement cette institution. La définition extensive du terme statut est ici intéressante. Cette notion correspond en effet à « l’ensemble cohérent des règles applicables » 89 au ministre. Elle regroupe tout à la fois les principes gouvernant l’existence du ministre dans sa fonction, l’articulation de ses attributions avec celles des autres membres de l’exécutif, aussi bien que les règles de l’organisation gouvernementale dont le ministre n’est qu’un élément.

Se demander, ensuite, ce dont dispose le ministre consiste à analyser la répartition des pouvoirs organisée par la Constitution, et plus particulièrement la distribution du pouvoir réglementaire ; il devient dès lors envisageable d’émettre une première appréciation du pouvoir normatif ministériel.

Le statut et la compétence normative permettent ainsi de proposer une appréciation juridique de ce qu’est la condition ministérielle.

Du singulier, l’on passe alors imperceptiblement au pluriel, car l’interrogation de cette première partie est finalement celle des conditions juridiques dans lesquelles le ministre est placé pour l’accomplissement de sa fonction.

Au final, l’étude du statut du ministre, puis celle des compétences qui lui sont dévolues, doivent permettre de révéler l’affaiblissement de sa condition.

Le verbe affaiblir est choisi à dessein. Il signifie « diminuer la force ou les forces de » 90 . Cette définition implique donc le mouvement, l’évolution, d’un cadre plus large à un cadre plus étroit. Ainsi, l’étude de la situation de la Ve République révèle tout autant un mouvement qu’un état. Il existe une évolution dans le sens de l’affaiblissement de la condition ministérielle. A vrai dire, ce mouvement s’opère doublement. Il s’effectue, d’abord, par comparaison entre la IVe République et le régime de 1958. Un premier type d’affaiblissement apparaît en effet lorsque l’on compare la condition ministérielle sous ces deux régimes. Le même mouvement s’observe, ensuite, dans la mise en place des institutions et la pratique même de la Ve République.

La condition du ministre est affaiblie de deux manières. La volonté du Constituant de 1958 est de contenir le ministre dans une fonction plus administrative que politique et, en tout état de cause, de subordination à l’égard du Président de la République et, secondairement, du Premier ministre. Les différentes règles déterminant l’existence du ministre, sa condition au sein du Gouvernement, c’est-à-dire son statut, résultent de la nature même du régime. Il en ressort un affaiblissement du ministre dans son statut de membre de l’exécutif ( Titre premier ). De même, la distribution des compétences s’organise de telle sorte que le ministre fasse figure de simple exécutant de décisions qui ne lui appartiennent juridiquement pas. Il existe de ce point de vue une restriction du ministre par la dévolution de ses compétences ( Titre second ).

Notes
87.

Dictionnaire de l’Académie française, Neuvième édition, tome 1, Imprimerie nationale et éd. Fayard, 2001, 860 p.

88.

CORNU (Gérard) (Sous la direction de), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 189.

89.

Ibid., p. 833.

90.

Dictionnaire de l’Académie française, Neuvième édition, tome 1, op. cit. Le Littré précise qu’il s’agit de « diminuer la puissance », et que l’« on affaiblit ce qui est fort » (Dictionnaire de la langue française, nouv. édition).