L’autonomie dont jouissait le ministre avant 1958 à l’égard du chef de l’État et du Président du Conseil laisse place à un affaiblissement de l’institution à compter de l’instauration du nouveau régime. Comme membre de l’exécutif, le ministre n’est plus en mesure de jouer un rôle central. Cet ajustement de la condition ministérielle découle de la rationalisation du parlementarisme voulue par le Constituant. Le renforcement du pouvoir exécutif modifie sensiblement l’équilibre qui y régnait jusqu’alors. La séparation plus marquée entre celui-ci et le Parlement coupe dans le même mouvement les liens qui rattachaient traditionnellement l’institution ministérielle à la représentation nationale. Si le ministre se trouve plus libre à l’égard de l’Assemblée, c’est dans son statut de membre de l’exécutif que l’affaiblissement est visible. L’organisation constitutionnelle consacre ainsi, à l’égard du ministre, une restriction de ses pouvoirs et de sa capacité d’action.
Du dispositif constitutionnel il ressort que le ministre procède d’une commune volonté du Président et du Premier ministre, codécision qui en pratique tourne à l’avantage du chef de l’État. Le début et la fin des fonctions ministérielles relèvent ainsi principalement de ces deux autorités, plus que du Parlement.
Ainsi que l’a expliqué René Capitant, le régime parlementaire « place, du fait de la responsabilité ministérielle, le cabinet dans la dépendance politique du Parlement. Le Parlement ne révoque pas les ministres, il les renverse ; ceux-ci ne pouvant gouverner qu’avec la confiance des chambres, le retrait de cette confiance les contraint à se démettre » 91 . D’une certaine façon, l’énoncé de notre auteur est applicable au rapport du ministre envers le chef de l’État. Chaque ministre se trouve dans la dépendance politique du Président, et ne peut exister qu’avec la confiance de celui-ci (celle du Premier ministre en période de cohabitation). Par ailleurs, le ministre n’est pas maître des attributions qui lui sont confiées. En effet, un élément capital tient au fait que « (…) les constituants de 1958 ont organisé la liaison entre le pouvoir présidentiel et le pouvoir ministériel avec autant de soin qu’ils mettaient à en proclamer la distinction » 92 . C’est ainsi que le ministre est soumis dans l’exécutif : par la précarité de son existence et de ses attributions ( Chapitre I ).
Mais la restriction du ministre, organe exécutif, tient également au fait que sa fonction est envisagée différemment. Des mécanismes tendent à lui ôter ses aspects les plus politiques, en le séparant de son attache parlementaire. Cette disjonction des fonctions est censée aboutir à l’émergence d’une activité ministérielle exclusivement « technicienne ». Le ministre serviteur est lui-même intégré à un collège qui ne constitue pas la somme de ses membres mais les dépasse. Le texte constitutionnel rappelle, en différents passages, combien compte en premier lieu cet ensemble collégial. La solidarité ministérielle est une marque du régime, qui entraîne la consécration d’une autorité à même de la définir, de l’imposer et, au besoin, d’en sanctionner les manquements. L’article 21 de la Constitution fonde ainsi la suprématie du Premier ministre sur les autres membres du Gouvernement. L’existence propre du ministre se trouve réduite, car il est enserré dans le collège gouvernemental politiquement responsable, et soumis à la direction du chef du Gouvernement. Maintenu au sein de cet organe collégial dirigé, le ministre de la Ve République est banalisé dans l’exécutif ( Chapitre II ).
CAPITANT (René), « L’aménagement du pouvoir exécutif et la question du Chef de l’État », op. cit., p. 392.
Ibid., p. 381.