Conclusion du titre premier

Au regard des régimes de 1875 et de 1946, la place du ministre dans l’exécutif de la Ve République est affaiblie, modérée, restreinte.

Le réagencement institutionnel au sein de l’exécutif se traduit en premier lieu par une soumission du ministre à l’égard des autres autorités le composant. Le statut ministériel se caractérise en effet par la précarité de la fonction. L’existence du ministre ne dépend plus que de la volonté du chef de l’État, car les prérogatives constitutionnelles du Premier ministre en matière de nomination et de révocation des membres du Gouvernement se trouvent atténuées par la pratique des institutions. Si, en période de cohabitation, le Premier ministre retrouve son plein pouvoir de proposition, la situation du ministre n’est pas substantiellement modifiée : il ne fait que changer de maître. La soumission du ministre est assurée de surcroît par son incapacité à détenir la maîtrise de ses attributions qu’il doit, suivant son domaine de compétence, soit partager avec le chef de l’État, soit voir investies en vertu d’un pouvoir présidentiel d’évocation qui ne dit pas son nom. Au plan collégial, le ministre ne trouve pas davantage de capacité à s’extraire de la tutelle élyséenne. L’instance officielle de la délibération ministérielle, le Conseil des ministres, ne permet, en réalité, ni délibération, ni décision de l’entité collégiale. Ne disposant d’aucune assurance quant à la pérennité de sa fonction, et n’ayant pas les moyens de faire respecter les contours de son domaine d’attribution, le ministre est soumis dans l’exécutif.

En second lieu, en sus de cette soumission, la Constitution traduit une volonté de niveler, d’uniformiser, en d’autres termes de rationaliser, de banaliser la fonction ministérielle. L’autonomie propre, la force politique, la capacité émancipatrice qui semblaient constituer l’essence même de la fonction, doivent laisser place à un exercice nouveau du pouvoir ministériel. Dans ce dessein, le ministre est enserré dans une double restriction : il est maintenu dans un collège, lequel est soumis à une direction.L’architecture institutionnelle ne permet plus au ministre d’apparaître comme l’expression d’une force politique au sein du Gouvernement. Le temps n’est plus où, ainsi que le relatait autrefois Jacques Dumaine, l’on « élaborait d’avance entre les trois partis les conditions d’acceptation et de fonctionnement ultérieur » du collège gouvernemental 478 . La composition du Gouvernement n’était alors qu’un « échafaudage (…) fragile et il [fallait] beaucoup d’astuce à Ramadier pour changer les antagonismes en solidarité ministérielle » 479 . Les ministres sont désormais tenus à la solidarité ministérielle et, si ce résultat est parfois mitigé, le sens est clairement fixé vers la dépolitisation de la fonction. Différents mécanismes permettent au Premier ministre d’imposer véritablement son autorité auprès des autres membres du Gouvernement, sans que le débat sur la reconnaissance ou non de son pouvoir hiérarchique soit susceptible de modifier les choses. Dans l’action gouvernementale, les instructions du Premier ministre, son pouvoir d’arbitrage, la menace de l’exercice de son pouvoir disciplinaire s’imposent. Les ministres sont enfin placés sous la surveillance vigilante des organes rattachés à Matignon.

La situation du ministre, sous l’angle de son statut de membre de l’exécutif, s’appréhende alors dans le sens de l’affaiblissement. Le ministre de la Ve République doit bien être de ce point de vue le serviteur voulu par le Constituant.

Cet affaiblissement, au plan du statut ministériel, s’accompagne logiquement d’une restriction normative. Conformément au sens fixé quant à son statut, la dévolution constitutionnelle des compétences n’est en effet pas favorable au ministre.

Notes
478.

DUMAINE (Jacques), Quai d’Orsay, 1945-1951, éd. Julliard, 1955, 590 p., p. 58.

479.

Ibid., pp. 152-153.