Conclusion de la première partie

Il nous a paru possible, tout au long de cette première partie, de démontrer que la condition du ministre de la Cinquième République est marquée du sceau de l’affaiblissement.

Celui-ci est de deux ordres.

Il s’observe au plan organique, lorsqu’il s’agit de s’intéresser au statut du ministre en tant que membre de l’exécutif.

Il se vérifie au plan normatif, à travers la répartition de la compétence réglementaire opérée par la Constitution, et la place qu’elle laisse au ministre en la matière.

En tant qu’organe de la sphère exécutive, le ministre nous a semblé, du fait de son statut, à la fois soumis et banalisé.

La soumission découle de l’extrême précarité, à la fois de l’existence du ministre, et de la possession de ses attributions, qui dépendent, plus que ne le prévoit la lettre de la Constitution, de la volonté présidentielle. Quant à la banalisation de l’institution ministérielle, celle-ci nous est apparue lors de l’étude de la place conférée au ministre au sein du collège gouvernemental. Ses membres y apparaissaient à la fois noyés, immergés, en même temps que soumis à un Premier ministre, véritable chef du Gouvernement, et non pas seulement primus inter pares.

Cet affaiblissement organique ne serait guère intelligible s’il ne s’accompagnait d’un nécessaire affaiblissement normatif, dans la mesure où, parmi les ambitions du Constituant de 1958, figure celle de replacer le ministre dans un rôle plus modeste.

C’est ainsi que le second élément venant créditer la thèse de l’affaiblissement de la condition ministérielle consiste dans l’affaiblissement de la capacité normatrice du ministre. Nonobstant les essais visant à faire apparaître un pouvoir réglementaire ministériel, le principe demeure que le ministre n’est pas investi d’une telle compétence. La Haute juridiction s’estime impuissante à réaliser cette reconnaissance que la Constitution même refuse, suivant en cela la crainte du Professeur Chapus de voir une « multiplication des autorités aptes à édicter des règlements applicables dans toute l’étendue du territoire national » 984 .

L’attribution pleine et entière d’un pouvoir réglementaire ministériel serait de nature à infléchir le sens de l’architecture institutionnelle, qui incline à la puissance présidentielle. Sans que soient remises en cause les règles de nomination et de révocation des membres du Gouvernement, un tel pouvoir ferait perdre de son autorité au Premier ministre, et serait de nature à porter atteinte au principe de solidarité gouvernementale. Disposant du pouvoir réglementaire plein et entier au sens de l’article 21 de la Constitution, le ministre ne serait plus dans la même situation. L’agencement des compétences entre Premier ministre et ministres pourrait en être bouleversé, atteignant au moins partiellement la cohérence des principes fondateurs du régime.

Il s’agit d’une voie que même le juge ne peut se risquer à emprunter, bien qu’il exploite par ailleurs d’autres moyens qui permettent d’éviter tout blocage de l’action administrative, et qui participent à l’émancipation des ministres dans l’exercice de leur fonction.

En effet, si, dans sa condition, le ministre de la Cinquième République se trouve affaibli, il faut alors s’interroger sur les moyens lui permettant pourtant, au-delà de cette restriction, d’accomplir, indéniablement, sa fonction.

Notes
984.

CHAPUS (René), Droit administratif général, tome 1, op. cit., p. 669.