Chapitre I : L’émancipation résultant de l’inégale situation des ministres au sein du Gouvernement

« L’honnête Bourguignon, alors ministre, devait son élévation à Gohier ; il était tout-à-fait au-dessous d’un tel ministère, hérissé de difficultés ».
FOUCHÉ.

S’il existe une hiérarchie entre le Premier ministre et le reste de l’équipe ministérielle, il en est une également entre les membres du Gouvernement eux-mêmes. Ainsi que le soulignaient F. Goguel et A. Grosser, « il y a toujours eu des ministres plus importants que d’autres ». De même, ajoutaient-ils, « dans le système anglais, dont ont voulu s’inspirer la plupart des réformateurs français depuis près d’un demi-siècle, de Léon Blum à Michel Debré , il existe une hiérarchie ministérielle assez stricte. Un petit nombre de ministres forment le vrai gouvernement politique, puis viennent les ministres dont la compétence est en principe limitée à leur département ministériel » 988 .

Le décret du 6 août 2002 donne d’ailleurs un indice de l’existence de la hiérarchie au sein du Gouvernement, lorsqu’il organise une différence dans le traitement des ministres et ministres délégués d’une part, et des secrétaires d’État d’autre part 989 .

Plus fondamentalement, la hiérarchisation au sein du Gouvernement est, selon le Professeur Frédéric Rouvillois, « fonctionnellement indispensable » 990 . Elle se manifeste de plusieurs façons.

Dans la détermination de leurs compétences, les ministres ne sont pas soumis au même régime, alors même que les décrets d’attribution doivent, en vertu du décret du 29 janvier 1959, être délibérés en Conseil des ministres, après avis du Conseil d’État 991 .

Surtout, la structure du Gouvernement n’est pas déterminée par une disposition constitutionnelle ou un texte législatif. Un avis défavorable fut d’ailleurs émis, durant les travaux préparatoires à la Constitution, sur l’éventualité de fixer par loi organique la structure générale du Gouvernement ainsi que les attributions des ministres. Ces matières ne bénéficieraient donc pas de la relative protection conférée par les lois organiques 992 , et demeureraient à la discrétion de l’Élysée et de Matignon.

C’est la raison pour laquelle l’étude du pouvoir ministériel gagne à dépasser la seule observation du statut constitutionnel du ministre. La prise en compte, à la fois de la structure gouvernementale 993 , et de la diversité des secteurs ministériels, c’est-à-dire des matières concernées, permet de constater une fixation sub-constitutionnelle des attributions ministérielles.

De même, la faculté de déterminer la structure du Gouvernement (nombre de ministres et secrétaires d’État, délimitation des départements ministériels) et des ministères (directions et services rattachés), répond à deux nécessités inextricablement liées. La première tient à la composition du Gouvernement et aux forces composant la majorité. La seconde tient à l’importance accordée au domaine considéré. De là, naît un pouvoir nécessairement inégal entre les membres du Gouvernement.

Entre la pérennisation de grands départements comme l’Intérieur, les Affaires étrangères ou la Justice, l’apparition d’un « super ministère » des Affaires sociales, ou de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, et la constitution d’entités ponctuelles (Reconstruction, Privatisation), les attributions et le poids des titulaires de ces portefeuilles sont très inégaux. L’émancipation du pouvoir ministériel trouve dès lors une première manifestation à travers des extensions légales de compétences.

L’inégalité ministérielle résulte donc à la fois de l’organisation gouvernementale ( Section 1 ), et de la nature du ministère ( Section 2 ).

Notes
988.

GOGUEL (François), GROSSER (Alfred), La politique en France, op. cit., p. 215. Claude JOURNÈS a d’ailleurs pu estimer que c’est bien le Cabinet qui constitue « la clef de voûte des institutions britanniques » (L’État britannique, op. cit., p. 213).

989.

Article 1er du décret n° 2002-1058 du 6 août 2002 relatif au traitement des membres du Gouvernement (JO du 8 août 2002, p. 13600).

990.

ROUVILLOIS (Frédéric), Droit constitutionnel, tome 2 : La Ve République, op. cit., p. 195.

991.

Des décrets de délégation fixent les attributions des ministres délégués et secrétaires d’État. Signés par le chef de l’État, ces décrets ne sont soumis ni au Conseil d’État ni au Conseil des ministres et n’ont d’effet que intuitu personae.

992.

Documents relatifs à la réunion du groupe de travail du 2 juillet 1958, Archives Solal-Céligny, in Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration de la Constitution du 4 octobre 1958, Volume I, op. cit., p. 339.

993.

Notons toutefois que, quand bien même la structure gouvernementale ne serait pas bouleversée, les compétences des membres du Gouvernement peuvent être modifiées, suite à la constitution d’une nouvelle équipe, par les décrets d’attribution. Ces changements qui ont « aussi une portée politique », s’avèrent « plus insidieux que ceux qui affectent les structures, et ils peuvent ralentir tout autant le travail s’ils sont trop fréquents » (LONG (Marceau), « L’organisation du travail du gouvernement », op. cit., p. 95).