Plan démonstratif

Ainsi que nous l’avons entrevu précédemment, la notion de cohérence entre urbanisme et déplacements n’est pas une invention de la loi SRU ; bien au contraire, elle est marquée par de nombreux et profonds héritages, issus de la création de l’urbanisme dans la deuxième moitié du XIXe siècle puis des propositions de « cités idéales. »

Le premier chapitre de cette thèse va s’intéresser aux différentes racines intellectuelles et méthodologiques de cette notion, ainsi qu’au pouvoir symbolique qu’elle a acquis au sein de la discipline, sans jamais avoir été stabilisée conceptuellement.

Nous allons ainsi débuter notre argumentation en rappelant les racines fonctionnalistes et progressistes de la cohérence entre urbanisme et déplacements, au travers de quelques propositions de cités idéales représentatives de ces représentations de la cohérence : la « ville industrielle » de T. Garnier, l’urbanisme rationaliste et automobile du Corbusier, la « ville cellulaire » des fonctionnalistes des années 1960, avant la vague post-fonctionnaliste de la « ville des courtes distances », prônée par les « nouveaux urbanistes » des années 1990, et la « ville passante » de D. Mangin.

Puis nous nous intéresserons à la transcription réglementaire de la notion dans la législation française, d’abord sous un angle toujours fonctionnaliste (issue de la loi d’orientation foncière de 1967), puis à partir d’une approche sectorielle découlant de la loi d’orientation des transports intérieurs (1982), cherchant la cohérence par la relance des réseaux de transport collectif urbain.

Ces tentatives fonctionnalistes ont été suivies d’une reprise de l’appel à la cohérence, sous un angle environnementaliste d’abord (loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, 1996), avant que la loi solidarité et renouvellement urbains de 2000 ne vienne enterrer les dernières approches fonctionnalistes, au profit d’un appel à des politiques urbaines globales et à une cohérence de résultat et non plus de procédures.

Aussi ce premier chapitre a-t-il pour but de montrer à la fois l’ancienneté de la notion de cohérence, et le basculement intellectuel et méthodologique souhaité par la loi SRU, appelant à rompre avec les approches « classiques », c’est-à-dire ici fonctionnalistes, qui prévalaient dans les procédures comme dans les représentations structurant l’urbanisme français.

A la suite de ce constat, il devient possible de questionner la finalité contemporaine de la cohérence entre urbanisme et déplacements. En constatant le changement de paradigme que constitue l’appel à la cohérence contenu dans la loi SRU, c’est-à-dire en observant que la loi utilise la notion comme appel à l’action organisée plutôt que comme légitimation technocratique de décisions publiques, le chapitre 2 de cette thèse peut s’intéresser aux finalités opératoires et organisationnelles de l’injonction de cohérence que constitue la loi.

En termes d’action, il s’agit de questionner la tension entre politique sectorielle et objectifs globaux d’une part, et les interrelations entre actions publiques en urbanisme et en transports urbains d’autre part. Sur les finalités organisationnelles de l’appel contemporain à la cohérence, la tension entre planification et action opérationnelle doit être elle aussi questionnée à nouveau, afin de bien comprendre comment l’appel national à la cohérence peut structurer l’action publique locale, dans le cadre des mutations institutionnelles qui font évoluer les acteurs locaux depuis la mise en œuvre, par étapes, de la décentralisation de l’action publique.

Ce sont ces approfondissements sur les définitions et les pratiques contemporaines de la cohérence entre urbanisme et déplacements qui permettent d’expliquer, à l’issue de ce second chapitre, en quoi la grille de lecture proposée par V. Kaufmann correspond à la posture de recherche qui est celle de cette thèse, c’est-à-dire de considérer que la cohérence est une notion héritée mais en voie de renouvellement, dont l’étude de tous les éléments contextuels d’existence et de mise en œuvre locale permet de mieux en appréhender les contours contemporains.

Une fois défini ce cadre d’analyse, le troisième chapitre peut alors s’intéresser au cœur de notre recherche et de notre questionnement, c’est-à-dire à la réponse apportée localement à l’injonction nationale de cohérence.

C’est pour cela que le chapitre 3 présente de manière approfondie notre terrain d’étude, l’agglomération stéphanoise, en s’intéressant à l’action organisée qui découle de la loi SRU, c’est-à-dire principalement l’étude d’un Plan de Déplacements Urbains, organisée autour de l’animation d’une scène de négociation permettant de définir et partager un projet de développement.

Cette analyse va nous permettre de constater que cette réponse locale, très sectorisée, n’a pas créé de cohérence fonctionnelle, mais qu’elle a organisé un groupe d’acteurs locaux, a appuyé un début de renforcement techno-structurel à l’échelle de l’agglomération, et a abouti au partage d’un horizon stratégique dans lequel converge les projets, positionnements et représentations de chaque acteur investi dans la scène PDU.

L’analyse des facteurs explicatifs (géographiques, institutionnels, méthodologiques) de la situation observée dans la région stéphanoise, dans le cadre de la réponse locale apportée à l’injonction nationale de cohérence, présentée dans le chapitre 3, permet d’approfondir dans le chapitre suivant, l’étude de la coalition d’acteurs qui s’est créée.

Le quatrième chapitre cherche ainsi à comprendre pourquoi et comment les acteurs locaux, très divers quant à leur positionnement, leurs projets, la légitimation de leur action, coopèrent entre eux, en référence à l’horizon stratégique partagé au sein de la scène de négociation PDU. Cette analyse doit également mettre en parallèle, et questionner la tension que l’on peut observer entre cet horizon lointain et les finalités à plus court terme que la coalition d’acteurs attribue à la démarche PDU, autrement dit à saisir des opportunités d’action publique (financement de projets – solutions tels que le tramway et le renforcement de l’offre ferroviaire par exemple), légitimées par l’horizon stratégique partagé entre les acteurs.

Après avoir analysé la coalition d’acteurs créée dans l’agglomération stéphanoise par la scène PDU, c’est-à-dire validé notre hypothèse centrale sur la formulation de réponses d’ordre organisationnel à l’injonction nationale de cohérence, nous pouvons à partir du chapitre 5 tester nos hypothèses complémentaires sur l’intensité des échanges, sur la modification des référentiels et sur la tenue dans le temps de la scène dé négociation.

Dans le chapitre 5, nous allons ainsi observer que cette scène a créé un « effet club » entre ses membres, produisant une convention territoriale d’organisation, c’est-à-dire la structuration des échanges entre membres du « club », en référence – explicite ou non – à l’objectif national de cohérence, et à l’horizon stratégique commun élaboré entre eux.

C’est dans ce cadre que peuvent être observées les postures, les motivations de chaque membre de la scène PDU, à travers les enjeux de coopération entre acteurs et de coordination entre les différentes procédures qui structurent l’action publique locale au sein de l’agglomération stéphanoise.

Enfin le chapitre 6 est consacré à tester la capacité de la coalition d’acteurs à se maintenir dans le temps, à mettre en œuvre le projet tel qu’il a été validé, et à dépasser le caractère sectoriel du projet validé et partagé au sein de la scène PDU, en direction d’un projet plus global et plus stratégique, à des échelles géographiques plus larges.

Il s’agit ici de s’intéresser, en premier lieu, aux liens entre le PDU, document cadre assez peu territorialisé et chiffré, et sa mise en œuvre opérationnelle (notamment aux moyens d’outils de négociation non prescriptifs dénommés Plans de Déplacements de Secteur.)

En second lieu sont abordées les relations institutionnelles, organisationnelles et méthodologiques entre les différentes scènes de négociation créées ou réformées par la loi SRU (planification communale des sols, planification sectorielle de l’habitat.)

En troisième lieu enfin, ce dernier chapitre s’intéresse aux échelles de planification supérieures, c’est-à-dire au schéma de cohérence territoriale du Sud Loire et à la directive territoriale d’aménagement de l’aire métropolitaine lyonnaise, afin d’analyser l’efficience et la portée de la convention territoriale d’organisation, produite à l’occasion du PDU, sur les scènes de négociation qui échappent au contrôle et à l’influence directs des acteurs investis dans la scène PDU.

Arrivés au terme de cette démonstration, nous aurons ainsi retracé les racines fonctionnalistes de la cohérence entre urbanisme et déplacements, puis constaté de quelle manière la loi SRU reformule un objectif de cohérence à des fins organisationnelles. Après avoir analysé la formulation concrète d’une réponse locale à cette injonction nationale, sur le terrain d’étude que constitue l’agglomération stéphanoise, nous aurons testé la pérennité et l’efficience de cette réponse organisationnelle au défi de la cohérence de résultat attendue par la loi, et face aux emboitements d’échelles qui caractérisent les différentes démarches contemporaines d’élaboration de projets de territoire.

En ce sens, nous aurons fait un tour d’horizon « complet » de l’approche contemporaine de la cohérence entre urbanisme et déplacements, à partir de l’analyse détaillée d’un terrain d’étude, ouvrant la voie à des recherches sur d’autres configurations institutionnelles et d’autres échelles d’analyse.