1.1.2. L’urbanisme progressiste de Tony Garnier

L’influence intellectuelle qu’exerce la Cité industrielle depuis l’élaboration de son plan en 1901 et sa publication en 1917 demeure considérable. A la suite de Françoise Choay20, on peut considérer ce projet de cité idéale comme le premier manifeste de l’urbanisme progressiste. Rationalité de l’usage des sols et des formes urbaines, séparation des fonctions, organisation des trames viaires et des réseaux routiers et de transports collectifs, standardisation des formes construites, importance des espaces verts, de l’air et de la lumière, la cité industrielle contient les germes des problématiques urbaines qui vont traverser le XXe siècle.

Illustration 1 : Dessin de Tony Garnier présentant le centre de la
Illustration 1 : Dessin de Tony Garnier présentant le centre de la cité industrielle.

On y distingue des constructions monumentales, signifiant la centralité, accueillant équipements et commerces. Point de convergence, la gare est desservie par les tramways urbains et de larges avenues plantées, menant aux différents secteurs d’habitat et d’emploi.

Empreinte des idées du Mouvement moderne, basée sur le constat de la seconde révolution industrielle, la pensée urbaine de Tony Garnier met en scène une ville idéale, rationnelle et cohérente, aux contours bien définis. Les zones industrielles, tenues à l’écart de l’habitat pour raison d’hygiénisme, permettent une concentration « rationnelle » des moyens de production. L’habitat associe le modèle collectif avec la recherche d’air, de lumière, d’espaces privatifs et récréatifs. Une gare centrale permet les échanges entre transports ferroviaires et transports collectifs urbains. La trame viaire de la cité industrielle est constituée d’avenues suffisamment larges et rectilignes pour assurer les fonctions d’espace public piétonnier, de circulation automobile aisée et de desserte par des transports collectifs « lourds » et rapides (tramways), qui relient les quartiers d’habitat au centre-ville et aux zones d’emploi.

Illustration 2 : « Première étude du plan de site de la
Illustration 2 : « Première étude du plan de site de la cité industrielle », réalisée par Tony Garnier en 1901.

On décèle aisément le principe de zonage des fonctions : l’habitat et les équipements, au centre du plan (avec le centre-ville et sa gare), sur une trame viaire orthogonale et étirée, qui rappelle les « villes linéaires » de Arturo Soria y Mata (1882) ; à l’est, la zone industrielle ; entre les deux, la gare des marchandises et le port. Le barrage hydroélectrique, au nord du plan, montre que le projet de Garnier est conçu comme un système « fermé », autosuffisant : l’eau et l’énergie sont approvisionnés localement, « gommant » les éventuelles dépendances de l’extérieur.

Le projet progressiste de Tony Garnier constitue l’une des premières formalisations d’un modèle urbain fonctionnel, rationnel, total car basé sur la tabula rasa et la définition a priori de comportements humains stéréotypés. La cohérence n’existe, dans cette pensée, que dans la mesure où zonage et possibilités de déplacement entre zones sont développés de manière concomitante, et en respectant le principe d’un système urbain délimité et « fermé », où les emplois sont occupés par les habitants de la cité.

Sur l’actualité du projet de Tony Garnier, et la permanence des représentations urbaines qu’elle a engendré chez les urbanistes, on peut se limiter à citer le cas du quartier des Etats-Unis à Lyon 8ème, dont l’avenue principale s’apprête (en 2009) à accueillir un tramway… 88 ans après le début de sa construction21 !

Illustration 3 : La gare centrale de la
Illustration 3 : La gare centrale de la cité industrielle, point de convergence des avenues, des cars, des tramways et des trains, placée au centre de la ville.

Ce « pôle multimodal » avant l’heure constitue également le point d’échange avec « l’extérieur », pour le trafic passagers. (« gare vue de l’ouest », dessin de Tony Garnier, 1917)

Notes
20.

L’urbanisme, utopies et réalités. Une anthologie. (Choay, 1979)

21.

les travaux de construction du quartier des Etats-Unis à Lyon ont débuté en 1921 pour s’achever en 1934. Au contraire de biens des avenues lyonnaises tracées avant l’avènement des modes de déplacement mécanisés, l’actuelle avenue Tony Garnier n’a jamais été parcourue par l’ancien réseau de tramways de l’OTL.