1.1.4. La ville cellulaire promue par le rapport Buchanan

Le mouvement de démocratisation de l’automobile, entamé dans les années 1920 aux Etats-Unis, s’amplifie également en Europe au lendemain de la seconde guerre mondiale. La circulation automobile et l’engorgement des voies publiques dans les grandes agglomérations deviennent prééminents, tant dans la sphère politique que dans celle de la recherche urbaine.

Si les Congrès Internationaux d’Architecture Moderne mettent en avant des solutions utopiques basées sur la tabula rasa, d’autres démarches visent à répondre aux questions de circulation urbaine en adaptant la ville héritée à l’ère de la motorisation quasi-généralisée des déplacements. C’est le cas du rapport Buchanan, dont les conclusions ont été publiées en 1963 à la suite d’une commande du ministère britannique des Transports. En France, le contexte réglementaire commence lui aussi à faire évoluer les pratiques, des opérations de rénovation urbaine vers des démarches plus soucieuses du patrimoine bâti (adoption de la loi Malraux).

Le rapport Buchanan propose des mesures concrètes d’aménagements viaires et urbains visant l’efficacité des échanges, la libre circulation des biens et personnes, et l’utilisation rationnelle et fonctionnelle des sols. En rupture avec la logique de tabula rasa, il s’agit d’adapter la ville héritée à l’automobile. Il s’y ajoute, pour les extensions périphériques, le développement d’une nouvelle forme urbaine, élaborée à partir du maillage et de la hiérarchisation du réseau routier urbain : c’est la « ville cellulaire », organisant des « poches » d’habitat, d’activités, de commerces entre les « mailles » des réseaux routiers rapides. A l’intérieur de chacune des « zones environnementales 24» ainsi constituées, tout trafic de transit est proscrit. Et « l’architecture de la circulation » proposée par le rapport Buchanan propose de cesser de dissocier plans masses et plans de circulation, afin de garantir l’étude cohérente des différentes cellules composant l’espace urbain.

Illustration 9 : Une « zone environnementale » (ici stylisée par David Mangin,
Illustration 9 : Une « zone environnementale » (ici stylisée par David Mangin, in Mangin, 2004).

Plusieurs « cellules » autonomes sont aménagées autour de voies de desserte, elles-mêmes maillées autour d’un réseau autoroutier (en rouge) orthogonal. Urbanisme des « poches », où les fonctions s’organisent autour des échangeurs et giratoires.

La proximité intellectuelle entre les raisonnements et les solutions proposées est évidente entre les travaux du Corbusier et ceux de la commission présidée par Colin Buchanan : la hiérarchie du réseau viaire, le fonctionnalisme et le zonage d’îlots urbains entre chaque maille routière, la relégation du piéton et du cycliste sur dalle et/ou sur passerelle, les rhétoriques de l’environnement naturel en ville et de la libre circulation des flux dans des réseaux calibrés, sont autant de similitudes entre les deux approches.

En revanche, les propositions du rapport Buchanan sont le signe d’une inflexion conceptuelle : la « table rase » n’est plus un préalable du modèle de développement urbain ; les mailles routières pouvant se développer autour d’espaces hérités plus ou moins rénovés.

Illustration 10 : Un secteur de Chandigarh (dessin
Illustration 10 : Un secteur de Chandigarh (dessin in Mangin, 2004).

Comparé au schéma de l’illustration précédente, on relève la proximité des schémas proposés par le Corbusier et le rapport Buchanan : fonctionnalisme, hiérarchisation des voies, logique « d’alvéoles ». Mais Chandigarh est une ville nouvelle, alors que la ville cellulaire est un modèle qui peut s’adapter à la ville héritée.

La popularité des préconisations du rapport Buchanan est sans doute égale chez les planificateurs urbains, notamment français, que l’a été la diffusion des travaux du Corbusier auprès de la société civile. De nombreux travaux, comme récemment ceux de David Mangin25 sur lesquels nous reviendrons dans la section 1.1.6, ont montré l’extraordinaire diffusion de la hiérarchisation des réseaux routiers et de la ville cellulaire en France.

Notes
24.

L’ensemble de ces termes est tiré du rapport Buchanan, in Choay, 1979

25.

Mangin, 2004