1.1.5. Le « nouvel urbanisme », ou la cohérence « post-fonctionnaliste »

Les années 1980 – 1990 sont marquées par la crise du fonctionnalisme, tant dans ses fondements théoriques, tels que nous venons de les voir, que dans la planification urbaine zonale, la construction de logements et l’aménagement d’espaces publics. Cette même période est également marquée par l’ascension des principes du new urbanism , un courant de pensée initié dans le monde anglo-saxon. Initié par des chercheurs, il a connu une diffusion massive chez les professionnels, tant en urbanisme qu’en économie des transports. Nous ne nous intéresserons ici qu’à l’une des idées phares de ce courant : la relation entre forme urbaine et mobilité quotidienne.

Nous avons vu que la mise en avant des interdépendances entre les formes de la ville et ses transports est aussi ancienne que la discipline de l’urbanisme, depuis la notion de viabilité chère à Ildefonso Cerdà. Cette porte d’entrée dans la problématique de la cohérence entre urbanisme et déplacements, au demeurant assez classique car basée sur un constat spatial quantifiable (les densités urbaines, les distances et fréquences de déplacement), connaît pourtant un regain d’intérêt avec le new urbanism. Malgré une remise en cause de l’urbanisme fonctionnel par les tenants du new urbanism, cette tentative de dépassement du modèle dominant la discipline au XXe siècle demeure pourtant appréhendée par un point de vue fonctionnel, en mêlant composition urbaine et articulation d’un réseau hiérarchisé de transport.

C’est en 1989 que paraît le premier ouvrage rendant compte de la recherche menée par Peter Newman, professeur en politique urbaine, et Jeffrey Kenworthy, maître de conférences en environnement urbain, tous deux à l’Université Murdoch de Perth, en Australie. Partant du constat que l’élévation des vitesses des déplacements quotidiens a permis l’éloignement des principales fonctions urbaines, P. Newman et J. Kenworthy ont cherché à quantifier la dépendance à l’automobile pour les déplacements urbains d’une part, « l’efficacité » énergétique des villes d’autre part. Il en a résulté un graphique présentant une comparaison entre 32 métropoles mondiales, mettant en relation la densité urbaine (habitants à l’hectare) et la consommation d’hydrocarbures (giga joules par habitant).

Illustration 11 : L’un des tableaux de synthèse des résultats de recherche obtenus par P. Newman et J. Kenworthy, à l’Université de Perth, dans les années 1990 : une approche environnementaliste des interrelations entre forme urbaine et mobilité quotidienne.
Illustration 11 : L’un des tableaux de synthèse des résultats de recherche obtenus par P. Newman et J. Kenworthy, à l’Université de Perth, dans les années 1990 : une approche environnementaliste des interrelations entre forme urbaine et mobilité quotidienne.

Les résultats de cette étude montrent clairement que les villes américaines sont peu denses et très dépendantes à l’automobile, à l’opposé des villes asiatiques, très denses et économes en énergie. Les villes européennes, bien que moins denses que ces dernières, sont relativement économes en énergie. A partir de ces constatations, le nouvel urbanisme s’est intéressé au rôle des formes urbaines dans la gestion des mobilités individuelles mécanisées : « les villes fonctionnent mieux lorsqu’elles offrent des transports en commun qui les relient à des banlieues à densité relativement élevée avec une occupation des sols mixte 26  ».

Si le fait d’appréhender conjointement formes urbaines et mobilité quotidienne marque le point commun avec les approches des grands utopistes structurant l’urbanisme, les propositions des nouveaux urbanistes et les recherches menées par P. Newman et J. Kenworthy vont à l’encontre des grands utopistes fondateurs de l’urbanisme moderne, en promouvant la mixité fonctionnelle.

Courant de pensée « contemporain », ayant assimilé les notions de patrimonialisation et de renouvellement urbain, le nouvel urbanisme prône un système urbain cohérent avec ses réseaux de transport qui s’applique à la fois à la ville pédestre ancienne, aux tissus hérités de l’ère fonctionnaliste, et aux extensions urbaines contemporaines. Un nouveau maillage de transports alternatifs à la voiture individuelle (transports collectifs, vélos, marche à pied) structure des opérations de « mixage » des fonctions urbaines et de densification humaine dans les secteurs concernés bien desservis.

Illustration 12 : Synthèse des principes de développement cohérent entre urbanisme et desserte en transports promus par le nouvel urbanisme.
Illustration 12 : Synthèse des principes de développement cohérent entre urbanisme et desserte en transports promus par le nouvel urbanisme.

La mixité des fonctions est organisée dans des zones où les faibles distances rendent possible les « mobilités douces ». Chacune de ces zones est desservie par des transports collectifs de proximité, et par des réseaux plus lourds, rapides et « structurants », qui assurent les échanges entres zones. Il s’agit donc d’un croisement entre les logiques de « collier de perles », de desserte maillée des territoires, et de la ville cellulaire.

La recherche de Peter Newman et Jeffrey Kenworthy a connu une diffusion massive, et les propositions des nouveaux urbanistes, un succès certain chez les professionnels. Le renouveau des planifications urbaines en Allemagne ou aux Pays-Bas, par exemple, s’inscrit dans ces principes, et propose, in fine, des réponses fonctionnalistes aux enjeux socio-économiques et environnementaux soulevés. La promotion de la densité et des courtes distances outre-Rhin, la localisation des activités en fonction des besoins d’accessibilité et de desserte en Hollande (politique « ABC ») participent de la convergence internationale créée autour des propositions de densification, de mixité et de multimodalité des grandes agglomérations des pays développés.

En France également, ces questions sont remises sur le devant de la scène au début des années 1990, tant chez les chercheurs que chez les professionnels, accompagnant la montée en puissance des considérations environnementales. La loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, votée en 1996 en France, popularise la notion de développement durable et cherche à agir sur le rééquilibrage modal des déplacements, développant ainsi un discours sur les compositions urbaines favorables à un tel dessein.

Illustration 13 : Esquisses d’Ebenezer Howard (
Illustration 13 : Esquisses d’Ebenezer Howard (in Ragon, 1991, volume 2 page 23) pour le réaménagement du territoire par l’aménagement de « cités – jardins »,

Ces esquisses, publiées en 1898, proposent un système urbain basé sur les courtes distances, la desserte par voie ferrée et la mixité fonctionnelle. Le « nouvel urbanisme » n’est pas une pensée urbanistique ex-nihilo  !

Notes
26.

Newman, Kenworthy, 1991 (p.106)