1.2.3. La relance sectorielle de 1982 (LOTI) : le réseau de transport urbain comme vecteur de cohérence urbanisme – transports

Durant les années 1970, la question des déplacements urbains s’affirme progressivement dans l’agenda politique national. La première moitié de la décennie, couverte par le VIe Plan(1971 – 1975), est marquée par l’instauration du versement transport (à partir de 1973, en réponse à l’aggravation de la situation financière des réseaux de TCU), et par le financement de transports collectifs en site propre « lourds », c’est-à-dire des métros, à Lyon, Marseille et Lille.

C’est un tournant dans l’histoire française des déplacements urbains : pour la première fois, l’Etat central accepte de développer des transports collectifs performants en Province, après des décennies de refus40. Le Plan présente ces grands projets comme des outils techniques d’aide à la résolution des difficultés de circulation dans les principales « métropoles d’équilibre » chères à la Datar (Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale). Il est important de noter que ces grands projets de métro ne sont pas à proprement parler les fruits d’une politique favorable exclusivement aux modes alternatifs à la voiture individuelle : enterrer le transport collectif libère de la place pour la circulation et le stationnement automobile.

Dans les agglomérations moins importantes, l’Etat encourage la réalisation de plans de circulation, en subventionnant la moitié de leur étude. Ces plans, traitant exclusivement de la voirie, visent l’amélioration de la fluidité automobile, en prévoyant à moyen terme (5 à 10 ans), des (ré)aménagements d’axes et de carrefours, l’augmentation du nombre de places de stationnement et le traitement des cheminements piétonniers.

Un infléchissement du parti pris en faveur de la poursuite de la fluidification des déplacements individuels mécanisés a pourtant lieu avec le VIIe Plan (1976 – 1980), au lendemain du premier Choc pétrolier. Il s’agit désormais de mener une politique nationale en faveur des transports urbains, à travers une contractualisation avec les réseaux de Province. L’objectif, cette fois-ci, est clairement de développer l’offre en transport collectif, sur la base d’un subventionnement incitatif, dont l’initiative revient aux collectivités locales. Celles-ci, afin d’encadrer et organiser leur politique favorable aux transports collectifs, ont la possibilité d’élaborer, à partir de 1983, un Plan de Déplacements Urbains, qui intègre pour la première fois la notion de partage de la voirie entre les différents modes.

Le passage du Plan de circulation au PDU est lié à la promulgation de la Loi d’Orientation sur les Transports Intérieurs en 1982. Celle-ci consacre le droit au transport, et constitue le premier aboutissement institutionnel d’une logique sectorielle et incitative au niveau national. C’est également une approche multimodale, avant même l’apparition du terme. Pour la LOTI, un PDU « définit les principes généraux de l’organisation des transports, de la circulation et du stationnement dans le périmètre des transports urbains. A travers une approche sectorielle (les transports urbains), la recherche de cohérence générale du fonctionnement urbain est attribuée, et c’est une innovation supplémentaire, à un seul organisme : l’autorité organisatrice des transports urbains, à travers son statut de maître d’ouvrage des PDU.

L’article 28 de la LOTI précise que les Plans de Déplacements Urbains ont pour objectifs de « définir les principes généraux de l’organisation des transports, de la circulation et du stationnement dans le périmètre des transports urbains », dans l’optique d’une « utilisation plus rationnelle de la voiture » et d’une « bonne insertion des piétons, des véhicules à deux roues et des transports en commun ».

Il s’agit donc d’un retournement dans l’histoire de la planification urbaine française : l’entrée dans la thématique ne s’opère plus à partir des formes urbaines, mais des déplacements. Pour autant, la démarche demeure à la fois sectorielle et fonctionnaliste dans sa méthodologie et dans sa production d’action publique.

Les agglomérations de Grenoble, Nantes, Montpellier, Lorient, Bourges et Annecy ont expérimenté les PDU à partir de 1983. Le conditionnement du subventionnement des transports collectifs locaux par l’Etat à l’existence d’un PDU a conduit 45 agglomérations à en lancer l’étude, jusqu’au coup d’arrêt de 1986, où le financement étatique a été interrompu.

En terme de bilan critique, et ainsi que le remarque Jean-Marc Offner, cette première génération de PDU a souffert de l’absence de méthodologie claire pour une démarche de planification sectorielle somme toute innovante41. Le décret d’application de cette mesure phare de la LOTI n’est par ailleurs jamais paru, rendant facultatifs les PDU et précaire la compétence multimodale de planification des déplacements par les autorités organisatrices urbaines. Dès lors, l’arrêt du financement des PDU et des projets d’amélioration des transports collectifs par l’Etat n’a fait qu’accélérer le désintérêt des collectivités locales pour les Plans de Déplacements Urbains.

Seule a subsisté, de 1986 à 1988, une politique nationale de « contrats de productivité », dont l’objectif a principalement été d’améliorer l’exploitation et l’équilibre financier des réseaux de Province, mis en difficulté par les améliorations de l’offre réalisées depuis 1982. De fait, cette seconde vague de contractualisation avec les collectivités locales dans le champ des déplacements urbains, a consisté en une réduction drastique des coûts d’exploitation des réseaux.

Les efforts de développement de l’offre et les prétentions d’action cohérente avec le développement urbain des agglomérations ont été réfrénés. La seconde moitié des années 1980 peut donc être considérée comme un nouvel épisode de crise de la planification des déplacements, doublé d’interrogations sur le financement des politiques de transport menées dans les agglomérations françaises.

Dès 1987, Pierre Lassave a établi un premier bilan42 des PDU « génération LOTI ». Celui-ci remarque en premier lieu le décalage entre la décentralisation, qui a consacré le pouvoir municipal sur l’urbanisme, l’habitat, le développement économique, et la LOTI, loi « verticale » qui renforce la sectorisation du champ des déplacements urbains, et qui en confie la compétence à un pouvoir intercommunal balbutiant, au travers de l’AOTU. Aussi la rupture avec l’ère de la LOF est-elle bien réelle, avec le passage d’une décentralisation très encadrée à une logique d’initiative locale et supra-communale.

P. Lassave, tout comme J-M. Offner et C. Lefèvre43, relève par ailleurs que l’intérêt de ces démarches locales volontaires ne réside pas dans leur opérativité à court terme (qui s’est révélée assez faible), mais dans l’inscription durable, sur ces territoires, de problématisations de la question des déplacements urbains, et de mise en évidence des interdépendances avec les politiques d’urbanisme et les enjeux intercommunaux de l’action publique en France.

Des approches transversales, des visions cohérentes et globales ont en effet pu émerger au sein de groupes partenariaux locaux constitués d’élus et de professionnels dans certaines agglomérations (Lyon, Grenoble, Nantes). Dans d’autres cas, la démarche PDU a permis l’agrégation d’acteurs autour de « projets phares » tels que lignes de tramways ou axes prioritaires bus (Montpellier, Rennes). Dans tous les cas, la coopération interinstitutionnelle a progressé lors de l’étude des premiers PDU.

C’est dans un cadre juridique, institutionnel et financier assez flou que se sont déroulées, en France, les premières tentatives d’approche concertée des politiques publiques à l’initiative des collectivités locales, tant en intra-sectoriel (partage de la voirie, cohérence entre les modes de transport…) qu’en inter-sectoriel (politique des déplacements urbains par rapport à celles traitant de l’habitat, du stationnement, du cadre de vie ; aménagement de pôles d’échanges dans les centralités secondaires des agglomérations…).

Il faut également retenir de cette période d’expérimentation qu’elle marque la fin de la focalisation sur les formes urbaines. Les déplacements sont traités en tant que tels, dans une approche de rééquilibrage modal, alors que les plans de circulation des années 1970 et leurs descendants visaient un maintien de la fluidité des déplacements automobiles.

Enfin, la première génération de PDU a permis l’émergence, dans les principales agglomérations française, de « grands projets » de transports collectifs en site propre : métros, tramways, bus sur couloir réservé… Malgré la crise financière des réseaux de transport urbain dans les années 1980 – 1990, et celle de la planification urbaine, certains de ces projets ont été réalisés à partir de 1986, à Nantes, Grenoble Strasbourg… ouvrant ainsi l’ère des grands projets de transport collectif inscrits aux plans de mandat municipaux (et intercommunaux).

Les années 1980 sont marquées par le basculement des planifications fonctionnalistes dans une « nouvelle » approche sectorielle de l’action publique, qui focalise la recherche de cohérence urbaine sur le développement de réseaux multimodaux de déplacements, conduisant in fine à la poursuite des visées fonctionnalistes. Dans le même temps, la poursuite de l’étalement urbain et de la démocratisation de l’automobile, la difficulté d’asseoir un pouvoir intercommunal aux compétences transversales, la montée des préoccupations sur le cadre de vie et l’environnement conduisent également à la remise en cause de ces démarches fonctionnalistes et sectorielles, pour déboucher au cours des années 1990 sur une approche plus globalisante de l’action publique, à partir d’une entrée environnementaliste.

Notes
40.

Sur la lente maturation de ces projets, on peut se référer au cas lyonnais, traité dans les mémoires de René Waldmann, l’un des « pères » du métro lyonnais (Waldmann, 1991 et 1993).

41.

Lefèvre, Offner, 1990

42.

Lassave, 1987

43.

Lefèvre, Offner, 1990